lundi 21 décembre 2009

culte du 20 décembre à La Ciotat et du 27 décembre à Aubagne

Juges 131 – à 1631 Luc 1 46 à 55 1 Samuel 2 1 à 10

Le récit de la naissance de Jésus, tel que relaté par Luc, est en lien avec un réseau de récits bibliques mis en forme au 6me siècle AJC.
Dans ce temps de Noël il m’a paru opportun d’apporter quelques éclairages sur l’ancrage de ce récit dans la matrice vétéro testamentaire.
Il y a de cela 3 200 ans, les douze tribus hébraïques, souvent rebelles aux volontés de leur Dieu Yahvé, étaient,en partie ou en totalité , temporairement, dirigée par des chefs de guerre suscités par Yahvé pour tenir à distance les tribus cananéennes ou les Philistins. Le nom de juge leur était attribué.
Le territoire promis aux hébreux du temps de Moïse ne leur revenait jamais en totalité du fait des fautes constamment répétées du peuple élu.
Samson fut l’avant dernier des juges. Son histoire nous est familière.
Morceau de choix des catéchètes qui présentent, sûrs de leur succès, le récit haletant d’un héros biblique pourfendant les ennemis de Dieu, à l’instar des justiciers de tout poil peuplant les livres pour enfants.
Le texte biblique concernant Samson est écrit à la manière d’un conte.
L’auteur manie le miraculeux, l’épique, les conquêtes féminines, les trahisons des siens, la rouerie des femmes, la haine et la vengeance.
Pour clore ce morceau de bravoure, Samson, tel un kamikaze antique, provoque un mémorable massacre dans les populations civiles Philistines.
L’attentat du 11 septembre sur les twin tower n’est pas pire que le massacre des Philistins dans le temple de leur Dieu Dagon.
Cette saga fait furieusement penser à celle d’Héraclès (Hercule pour les romains) citée dès le huitième siècle AJC par Hésiode.
De fait les similitudes entre les deux héros sont troublantes.
Leur naissance est miraculeuse.
Hercule est le fruit des amours de Zeus et d’une femme.
Samson est réservé pour Dieu, il est ce que la bible appelle un nazir.
Les deux héros sont protégés par les dieux.
Héraclès est immortel car il a tété le lait de la déesse Héra épouse de Zeus dont les gouttes échappées aux lèvres goulues de l’enfant ont formé la voie lactée.
Samson lui, est un nazir particulier.
Il est dédié à Dieu, selon la promesse de l’envoyé de Dieu à sa mère, pour toute la durée allant du stade fœtus à sa mort.
Samson et Héraclès ont une force hors du commun, mais aussi un caractère ombrageux conduisant aux pires massacres.
Héraclès tue, entre autres, son maître de musique à coups de cithare sur le crâne puis plus tard sa femme et ses enfants dans un emportement démentiel.
Samson soutient très bien la comparaison, massacrant allégrement en un premier temps 30 Philistins qui ne lui avaient rien fait, puis mille Philistins avec une mâchoire d’âne, sans compter ceux abattus lors des autres combats et pour finir, comme le ferait le pire terroriste islamique, il emporte avec lui dans la mort 3000 personnes.
Les deux héros sont d’effarants séducteurs, leur comportement est débridé avec les femmes, Samson allant jusqu’à fréquenter des prostituées Philistines !
Cette attitude engendre la ruse de la gent féminine à l’encontre de ces mâles violents et infidèles.
Les deux héros ont en commun d’être isolés, ils ne sont pas à la tête de confédérations et d’armées nombreuses.
Les exploits de l’un et l’autre se ressemblent, ils tuent tous deux un lion, c’est pour Hercule le lion de Némée qu’il étouffe dans ses bras et pour Samson un lion qu’il déchire.
Dans les deux cas aucune arme ne leur est nécessaire.
Hercule plante deux colonnes de pierre de part et d’autre du détroit de Gibraltar.
Samson transporte les montants et la porte de l’enceinte entourant Gaza au sommet de la montagne située en face d’Hébron.
Leur mort à tous deux est brutale et induite par une femme.
Héraclés, la peau brûlée par une tunique empoisonnée remise par sa dernière épouse Déjanire, s’immole sur un bûcher.
Samson les yeux crevés, suite aux défis de Dalila, se laisse ensevelir par les pierres dont il a induit la chute.
Bien entendu cette similitude dans les deux récits épiques n’est pas fortuite, l’histoire de Samson est inspirée par celle d’Héraclès.

Le livre des Juges et les autres textes historiques qui le précèdent ou le suivent, Josué, Samuel 1 et 2, Rois, Chroniques 1 et 2, ont été écrits lors de l’exil des juifs à Babylone.
Bien évidemment le peuple déporté, humilié et asservi ne pouvait qu’apprécier un récit flattant son rêve de revanche.
Mais à bien regarder, Samson est un nazir peu orthodoxe.
Il est bizarrement voué au naziréat dès le ventre de sa mère et c’est sa mère qui doit s’abstenir de respecter les principes alimentaires imposés aux nazirs.
Dans Nombres 6, Dieu indique à Moïse ce qu’est un nazir et ce que celui-ci doit faire « Pendant tous les jours de son vœu de naziréat le rasoir ne passera pas sur sa tête…. il sera saint.
Pendant tous les jours qu’il a mis à part pour le seigneur il ne s’approchera pas d’un mort, il ne se rendra pas impur car il porte sur la tête un signe de mise à part pour son Dieu »
Le texte de Lévitique 19 indique comment Dieu veut être servi, il apporte des précisions sur ce que signifie la sainteté.
Il y est dit, en particulier, « tu ne te vengeras pas, tu aimeras ton prochain comme toi-même »
Samson ne cesse de transgresser les devoirs de sainteté, et il le sait d’ailleurs, comme en témoigne cette réflexion suscitée par le massacre de sa femme par les Philistins relatée en Juge 15 : « cette fois ci je ne serai pas coupable envers les Philistins si je leur fait du mal »
Autrement dit avant j’étais coupable.
Comment ne le serait il pas, un nazir doit rester pur, c'est-à-dire ne pas se souiller par le sang, ne pas toucher un cadavre, ne pas s’approcher d’un mort, ne pas fréquenter les prostitués, ne pas tromper par des mensonges avérés …
Samson ne communique pas avec Dieu, sauf dans le péril extrême, pour échapper à la mort par déshydratation par exemple ou retrouver de la force pour assouvir sa vengeance.
Se venger, il ne songe qu’à cela, le sort du peuple d’Israël ne le préoccupe pas.
Il joue avec les femmes dans un rapport sado masochiste et leur ment sans cesse.
Il se croit en effet invulnérable, puisque Dieu a annoncé à sa mère qu’il serait nazir du ventre maternel, jusqu’à la mort.
Mais à ce jeu, Dieu perd patience, reprend sa promesse et l’abandonne « Samson ne savait pas que Dieu s’était retiré de lui » (Juge 16 21)
Triste histoire d’une confiance trahie, pervertie.
Samson est le symbole de ce peuple au cou raide qui sans cesse oublie et renie son Dieu, s’abandonne aux pires excès et adore les dieux Baal et autres Astarté.
C’est seulement quand la situation est désespérée qu’Israël appelle au secours.
La petite troupe des juifs exilée à Babylone cherche elle aussi, désespérément, l’énergie pour demeurer le peuple nazir.
Mais Dieu, ne serait il pas lassé ? Le temple est détruit, les hébreux sont dispersés, déjà la plupart de ceux demeurés en Judée s’’intégrent à la population victorieuse et adoptent le culte des idoles païennes.
Le texte relatant l’histoire de Samson est ainsi écrit dans l’angoisse.
Il y a toutefois un joyau inséré dans ce récit, un joyau qui parle d’espérance en un renouveau.
C’est l’épisode concernant le combat de Samson avec un fauve.
Samson, lui, n’a tiré aucun enseignement de la péripétie du combat avec un jeune lion, il y trouve seulement l’occasion de poser une énigme aux Philistins, invités à son mariage, afin de leur chercher querelle.
Tentons de pallier à cette lacune.
Samson est de la tribu de Dan et selon Moïse « Dan est un jeune lion qui s’élance sur Basan » Deut 33.
Ainsi le jeune lion déchiré par Samson symbolise la tribu à laquelle appartient Samson.
Cette tribu habitait alors le sud d’Israël dans un pays coincé entre la Palestine des Philistins et le territoire de la tribu de Juda.
La tribu de Dan, en grande difficulté, comme le relate le dernier chapitre du livre des Juges, dut s’exiler vers le Nord près du Golan Syrien
La tribu, dès lors, devint si négligeable qu’elle disparut de la liste des tribus citées dans les généalogies dressées dans les chroniques (1 Chr 2-9).
Dan devint une tribu morte.
C’est dans la dépouille du lion, ou du peuple de Dan si vous préférez, que s’installent les abeilles.
En hébreux, abeille se dit Dbure issu du de la racine Dbr signifiant la parole. Or Yahvé crée par la parole, le souffle.
L’abeille purifie par le feu de son dard et ouvre l’accès à l’intelligence par son rapport au soleil qui la guide, elle assure la félicité par la douceur de son miel.
La terre promise est supposée ruisseler de miel.
Ainsi Dieu pose un signe.
De la force aveugle de Samson, sur sa dépouille ensevelie sous les pierres, naîtra par la volonté de Dieu, un nazir conduisant enfin à la félicité un peuple réconcilié avec son Dieu.
Effectivement, après la mort de Samson, un prophète, cette fois exemplaire, surgit. Il s’agit de Samuel, lui aussi né miraculeusement d’une femme stérile.
Sa mère Anne le consacre comme nazir.
Prosternée devant Dieu elle prie, (1 Samuel 2 1 à 10), le texte de cette oraison est magnifique, la prière de Marie (Luc 1 46 à 55) en reprendra les thèmes
« Le seigneur fait mourir et il fait vivre, il fait descendre au séjour des morts et il en fait remonter. C’est le seigneur qui rend pauvre ou riche, c’est lui qui abaisse et qui élève. De la poussière il relève le faible, du fumier il élève le pauvre pour les faire asseoir avec les nobles.. »
Samuel était agréable au seigneur aussi bien qu’aux hommes.
Samuel attentif à l’interpellation de son Dieu exprime son attente par cette exclamation célèbre : « Parle ! Moi, ton serviteur, j’écoute »
Ainsi en prise directe avec Dieu, Samuel, dés qu’il devint juge sur tout Israël, obtint la victoire puis la paix avec les Philistins.
Samuel, l’inspiré est l’opposé parfait de Samson.
Samson échoue malgré sa force inouïe et son élection.
Il doit cet échec à un esprit de vengeance étroit, un égo surdéveloppé, et une quasi absence de relation avec Dieu et les 12 tribus juives. Samuel réussit grâce ; à la relation permanente qu’il entretient avec Dieu et à la quête de sainteté régissant ses comportements.
Il assura son rôle de Juge sur les douze tribus réconciliées et institua la royauté en oignant les deux premiers rois d’Israël, Saül puis David.
Samuel est ainsi le prophète qui assure l’instauration d’une ère nouvelle pour Israël : le temps des rois.
Mais notez bien que Samuel refuse la royauté, c’est Dieu qui lui impose de oindre les rois « écoute le peuple, ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi qu’ils rejettent, ils ne veulent plus que je sois roi sur eux ».
Avant de mourir, Samuel une dernière fois exprimera son désaccord « ainsi vous verrez bien que vous avez très mal agis au yeux du seigneur en demandant un roi » (1 Sam 12 17)
Si le règne des rois David et Salomon représente pour les Juifs la période bénie de leur histoire, il n’en reste pas moins que la confiscation du pouvoir, y compris religieux par une lignée royale est une régression par rapport au type de relation directe que les Hébreux pratiquaient auparavant avec leur Dieu.
Le rêve de Samuel, ce n’est pas la royauté, c’est une relation étroite de tous les membres du peuple avec un Dieu qui règne sur leur cœur.

Le tandem des nazirs Samson et Samuel est homologue à celui constitué par Jean le baptiste et Jésus.
L’évangile de Luc présente l’histoire de Jean et Jésus selon les règles de l’historiographie antique déjà utilisées par les Juifs exilés à Babylone et les narrateurs des légendes Grecques.
Il ne cherche pas plus que les rédacteurs du sixième siècle AJC à faire œuvre d’historien.
La naissance de Jean et Jésus est miraculeuse comme celle de Samson et Samuel.
Les mères de Samuel et de Jésus prient de façon semblable, la prière d’Anne et le magnificat de Marie sont d’une très grande proximité.
Jean et Samson sont les représentants d’une époque révolue, ils introduisent tous deux à un stade nouveau envisagé par Samuel et réalisé par Jésus.
Luc au chapitre 4 de son évangile relate la lecture par Jésus, dans la synagogue de Nazareth, du texte de Esaie 61 « l’esprit du seigneur est sur moi, parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres ; il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le retour à la vue, pour renvoyer libre les opprimés. Jésus roula le livre et il se mit à leur dire : aujourd’hui cette écriture que vous venez d’entendre est accomplie »
Jésus comme il est dit en Luc 1 32 sera grand, il sera appelé fils du très haut et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père.
Jésus est ainsi enraciné dans la royauté Davidique selon les récits prophétiques.
Seul parmi les 4 évangélistes, Luc selon ses propres termes, manifeste sa volonté d’ordonner les événements dès le premier chapitre de son évangile
« il m’a paru bon, à moi aussi, après m’être soigneusement informé de tout à partir des origines, d’en écrire pour toi, un récit ordonné ».
Luc a la conviction que le salut ne se dit pas hors de l’histoire.
C’est pourquoi je vous ai invité ce matin à explorer les livres anciens. Entre les lignes de leurs textes s’insinuent les racines d’une semence qui prendra une dimension inouïe.
Cette semence, c’est un bébé dans le plus complet dénuement veillé par les plus misérables des hommes, les bergers.
Comme le dit Luc, ceci est pour vous un signe.

Une ère nouvelle, comparable à celle inaugurée par David le grand roi, est instaurée par Jésus.
Jésus accompli bien mieux encore, il réalise le rêve de Samuel, où, chaque homme est saisi par la parole agissante de son Dieu, proche comme il fut proche de Samuel, agissant comme il le fut chaque foi que Samuel l’appela.
Je vois très bien Samuel, ce nazir si dépité de devoir oindre des rois, exulter à l’unisson de Siméon criant sa joie « maintenant Maître tu laisses ton esclave s’en aller en paix selon ta parole. Car mes yeux ont vu ton salut, celui que tu as préparé devant tous les peuples, lumière pour la révélation aux nations et gloire de ton peuple, Israël » (Luc 2 29 à 32).
En ces temps de Noël, il m’est apparu intéressant de vous faire partager ma recherche sur les derniers Juges, car elle éclaire d’un jour particulier le récit de la naissance de Jésus rédigée par Luc.
La quête du peuple élu dure depuis 4000 ans et soulève l’admiration.
Le sursaut des juifs déportés durant l’exil à Babylone est miraculeux; des hommes inspirés ont déployé un enthousiasme hors du commun pour mettre en forme les traditions orales et écrites afin de communiquer la foi qui les anime.
Ils ont ordonnés leurs informations, puis ils ont rédigé et diffusé.
Six cents ans plus tard, le même enthousiasme induit chez Luc la même envie de faire partager ce qui le fait vivre.
La forme littéraire est au service de son désir de nous faire comprendre, par les voies du cœur l’action de notre Dieu, il utilise pour ce faire le miraculeux, le merveilleux, l’invraisemblable.
Mais tout était déjà indiqué, préparé dans les écrits relatant cette histoire que le peuple juif tisse avec son Dieu.
Si la transcription, par Luc, des relations entre Dieu et les hommes n’est pas scrupuleusement historique, et il s’en faut de beaucoup, il n’en reste pas moins que l’émotion nous saisi toujours à leur écoute et en particulier à celle de la naissance du sauveur.
En ce temps de Noël laissons-nous imprégner par l’espérance merveilleuse suscitée par un petit enfant vagissant entouré par les plus pauvres, mais aussi les plus savants.
Tout doit se taire pour donner place à notre prière et notre jubilation au plus profond de la nuit, de notre nuit.