lundi 15 mars 2010

prédication du 14 Mars 2010 à Aubagne

Jean 9, 1 à 7

« En passant, il vit ». Ainsi s’ouvre le récit de Jean.
Comme par enchantement Jésus passe.
Il est semblablement passé à travers la foule des Nazaréens, ses compatriotes, comme nimbé d’une force paralysant les agresseurs cherchant à le pousser dans un précipice.
Il y a là quelque chose de magique, d’étrange.
C’est aussi en passant que Jésus vit ses futurs disciples, Simon et son frère André s’apprêtant à pêcher.
C’est aussi en passant que Jésus vit Lévi le collecteur d’impôts.
A chaque fois Jésus dit suis moi et, à chaque fois, une force invincible met debout celui sur qui le regard de Jésus s’arrête.
Ces hommes que voit Jésus sont pourtant ordinaires, mal considérés voire handicapés.
Cette fois, dans le récit de Jean, c’est sur un homme aveugle de naissance que son regard se pose.
Mais avant d’aller plus avant, posons- nous la question suivante, où en est Jésus dans sa mission ?
Il importe de le préciser, car nous serons certainement étonnés qu’il puisse se soucier d’un pauvre hère, au moment où sa propre vie bascule dans la tragédie.

Les indications chronologiques notées par Jean placent le récit entre la fête de Sukkhot, appelée fête des cabanes ou des tentes, et la fête de la dédicace.
Le récit relate ainsi des faits dont le déroulement se situe entre nos mois d’Octobre et Décembre.
Très vraisemblablement l’événement se déroule très peu de temps après la fête des cabanes, un jour de sabbat.
La fête des cabanes dure 8 jours, elle attire tous les juifs pratiquants.
Jésus s’est trouvé plongé en plein milieu d’une foule abondante et mobile.
A cette époque Jérusalem comptait 80 000 habitants, il faut y ajouter tous les pèlerins montés de Judée et de Galilée rassemblés pour la plus grande fête Juive.
200 000 personnes environ formaient la population présente à Jérusalem en cette période qui couvre les fêtes du grand pardon, le début de l’an juif puis la fête des cabanes.
Quelques jours avant la fête, les frères de Jésus, qui s’y rendaient, avaient mis en demeure ce dernier de monter à Jérusalem
« On n’agit pas en cachette quand on veut s’affirmer. Puisque tu accomplis de telles œuvres, manifestes toi au monde. » (Jean 7, 2 et 3)
Jésus avait commencé par refuser, puis, se ravisant, s’y était rendu en secret.
Dès le troisième ou quatrième jour de la fête, il tint au temple des discours magistraux suivis de controverses acharnées avec certains pèlerins.
Le sanhédrin inquiet de tels propos, non-conformes aux dogmes officiels, envoiya alors des soldats pour l’arrêter.
Mais ils refusèrent de mettre la main sur lui « car dirent ils jamais un homme n’a parlé ainsi »
Vient le huitième jour.
Ce jour là est le sommet de la fête si joyeuse qu’est Sukkhot, la fête des cabanes ou des tentes.
Tous les juifs ont dormi dans les cabanes en branches et ont admiré tard dans la nuit le temple illuminé par quatre chandeliers d’or.
La vive lumière dorant le temple, symbole de la magnificence de Yahvé, contraste superbement avec la sombre nuit s’étendant sur les peuples païens.
Cette vive clarté est amplifiée par celle des nombreuses torches brandies par des hommes pieux.
Ils dansent avec passion sur le parvis, tout en chantant des hymnes de louange accompagnés par les harpes et les flutes.
Les lévites, assemblés sur les quinze marches d’accès au temple psalmodient les quinze psaumes des degrés (PS 120 à 134).
« Quelle joie quand on m’a dit, allons à la maison du seigneur. Nous nous sommes arrêtés à tes portes, Jérusalem ! Jérusalem la bien bâtie. C’est là que sont montées les tribus d’Israël selon la règle en Israël, pour célébrer le nom de Yahvé… » (Ps 122)
Les pèlerins épuisés s’étaient finalement assoupis sous les cabanes précaires en branchages.
A la première lueur du jour, les trompettes d’argent des sacrificateurs retentirent.
Alors les juifs, réveillés en sursaut, se saisirent de la pomme du paradis dans la main gauche, en pratique il s’agit d’une orange, et dans la main droite des branches de quatre arbustes.
Ils s’agglomérèrent à la procession qui serpentait dans Jérusalem.
Le grand sacrificateur à sa tête était porteur d’une superbe cruche en or
Une fois arrivé à la fontaine réservoir de Siloé, la cruche fut remplie d’eau, puis la procession se rendit au temple.
L’eau fut répandue sur l’autel des sacrifices en signe de purification.
Tous les sacrificateurs se mirent alors à tourner sept fois autour de l’autel, au son des trompettes en criant « ô maintenant apporte donc le salut, Yahvé, donne la prospérité ».
Tous les pèlerins se remémoraient comment, dans des circonstances similaires, les murs de Jéricho tombèrent.
Ils espèraient ardemment que par l’intervention directe de Dieu, les murs du paganisme s’effondreraient devant Jehova, livrant, à découvert, le monde au peuple élu et à son Dieu.
Après le grand pardon des fautes, la fête des cabanes, représente le baptême symbolique de tout un peuple rassemblé, lavé de ses péchés et habité par l’esprit de Dieu.
C’est à cette occasion, au plein milieu de la procession du 8me jour de fête que Jésus se dressa et se révéla au peuple juif rassemblé. (Jean 7, 37 à 39 et 8, 12)
« Jésus debout s’écriait : si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ! Celui qui met sa foi en moi, comme dit l’écriture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein ….Je suis la lumière du monde celui qui me suit ne marchera jamais dans les ténèbres mais il aura la lumière de la vie».
Bien sûr la controverse s’installa dans la foule.
Ce Jésus est il d’origine divine pour parler ainsi ?
Mais personne ne mit la main sur lui car les esprits étaient à la joie.
Les deux symboles de la fête des cabanes, lumière et eau, avaient été repris dans la déclaration de Jésus et avaient acquis dans sa bouche une signification tout à fait novatrice.
Jésus, après cet éclat, était connu de plus de 200 000 pèlerins et habitants de Jérusalem
Pourtant, Jésus n’était qu’un Galiléen, un provincial à peine instruit, plutôt ordinaire, ne présentant aucune caractéristique seyant à un prophète et encore moins à un messie.
La situation était insupportable pour le clergé et les défenseurs de l’orthodoxie religieuse, c’est pourquoi, dans le temple, leurs représentants se saisirent de pierres pour lapider le trouble fête, mais Jésus se cacha et sortit de l’édifice.
De nouveau, Jésus échappait aux pierres lancées.
Très peu de temps après, en passant, il vit alors un aveugle de naissance.
Nous voici de retour à notre point de départ, enrichis par des informations tout à fait nécessaires à la compréhension du texte.

Les disciples, s’étonnent de l’attention portée à l’ handicapé visuel. Et cela est bien normal. D’une part ils ont bien d’autres soucis que celui de plaindre les mendiants qui abondent à proximité du bassin de Siloé, d’autre part, ils sont en phase cette fois avec les maîtres en religion que sont les pharisiens.
Ces juifs orthodoxes disent à l’aveugle dans le chapitre 9
« Toi tu es né tout entier dans le péché et c’est toi qui nous instruis, et ils le chassèrent dehors » (jean 9, 34)
En effet un être handicapé de naissance, ne l’est, dans leur optique, qu’à cause de parents ayant forcément commis de grands péchés. Et le poids de ces péchés rejaillit sur les descendants.
D’ailleurs nombreux sont les textes de la bible justifiant leur opinion, comme Exode 20,5
« Moi l’éternel ton Dieu, je suis un Dieu jaloux qui punis l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération de ceux qui me haïssent ».
Lier la souffrance, le handicap, la catastrophe imprévisible à une faute, est ancré dans le système de pensée naturel de l’espèce l’humaine.
Ainsi, la croyance à l’enchainement des réincarnations fonde l’Hindouisme. Il vise à purger progressivement l’individu, vie après vie, de ses fautes passées.
Les adages populaires « ils l’ont bien mérité », « qu’est ce que j’ai fait au bon Dieu pour subir tant de souffrances ou de maux », montrent que la théologie de la rétribution a de nombreux adeptes.
Encore maintenant, des psychologues à la mode imputent les malheurs actuels de certains aux fautes de leurs ancêtres.
La grande référence sur le sujet, c’est Job, exposé sans motifs à tous les maux, après avoir goûté à tous les bonheurs.
Il tente sans répit de trouver la réponse à cette question lancinante :
« Comment un Dieu tout puissant et bon, peut il créer la souffrance et ne pas agir pour l’endiguer lorsqu’elle se manifeste ? »
En fait il n’a pas de réponse, si ce n’est celle ci, Dieu est au-delà de ma compréhension, il échappe à ma quête, ses voies ne sont pas mes voies. Mais dit Job
« Je sais bien moi que mon rédempteur est vivant, et qu’il se lèvera, après que ma peau aura été détruite ; de ma chair je verrai Dieu, moi je le verrai, mes yeux le verront et pas quelqu’un d’autre » (Job 19, 25 à 27)
Au pourquoi en un mot, Jésus répond, quant à lui, sensiblement de la même façon que Job, par un pour quoi en deux mots.
Toutefois, il précise que le handicap de l’aveugle de naissance n’est lié en rien à un quelconque péché.
Ainsi, toutes les théologies de la rétribution sont balayées.
Haïti n’a pas subi le tremblement de terre à cause du péché des habitants !
Il n’y a pas non plus de péché originel qui pèserait sur nous, dès notre naissance, du fait de la faute d’Adam et Eve.
Attention ! Cette partie de la réponse de Jésus à la question des disciples est souvent négligée par les commentateurs du texte. Pourtant elle est essentielle. Elle permet d’affirmer aux athées que Dieu ne se venge pas sur ses créatures.
Même si le plan de Dieu pour orienter tout l’univers vers un état pacifié, reste largement indéchiffrable, il n’en reste pas moins que ses intentions, révélées par Jésus, sont celles d’un être attentif à nos malheurs.
Jésus utilise cet aveugle pour poser un signe à travers lequel vont être rendues évidentes les œuvres salutaires de Dieu.
Il remplace l’impuissant et nostalgique « pourquoi ? » par une promesse, et il la met immédiatement en œuvre.
Le temps presse tellement qu’un miracle est possible même un jour de sabbat.
Il faut œuvrer dans la lumière et Jésus est la lumière du monde.
Il est la lumière du monde en tout lieu et pour tout être, il ne se tient pas enfermé dans ce temple illuminé le 8me jour de la fête des cabanes, il est partout et surtout en nous même et ce jour là au cœur de l’aveugle né.
Il n’est pas seulement le Dieu d’un peuple élu, il est celui de tous les hommes.
Il est l’eau qui vivifie et guérit, il n’est pas besoin d’aller attendre les miracles des eaux salvatrices près de la fontaine de Siloé qui, quand elles bouillonnent, engendrent des guérisons.
Il n’est pas besoin d’attendre, comme l’espèrent les pèlerins à Lourdes, que le hasard désigne un parmi tant d’autres, pour jouir des attentions de Dieu.
Il est venu tous nous sauver et pas seulement l’aveugle de naissance.
Par le baptême d’eau et d’esprit, Christ nous donne les moyens de changer radicalement pour peu que nous répondions à son invitation.
(Apocalypse 3:20) « Voici, je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je souperai avec lui, et lui avec moi. »
Quand Jésus malaxe de la terre et de l’eau et pose la boue sur les yeux de l’handicapé, il perfectionne la première création (Gen 2, 7). Adam façonné à partir de la poussière de la terre et du souffle de Yahvé était imparfait. Il était faussé.
L’apôtre Paul le constate d’ailleurs amèrement, « quand je veux faire le bien, je fais le mal ».
Christ crée un homme nouveau à son image, en étalant sur les yeux la boue formée d’argile et de salive.
Or la salive est l’équivalent du souffle. Les mêmes ingrédients pour construire un homme sont utilisés par Dieu et Christ.
Comme l’affirme Paul, au vieil homme succède le nouvel Adam.
Le nouvel homme est débarrassé de l’opacité qui faussait sa vision de Dieu, du bien et du mal.
L’aveugle né se rend dans les eaux de Siloé et y lave la boue devant tous les malades massés en l’attente d’un bouillonnement salvateur des eaux, mais aussi devant tous ceux qui y puisent de l’eau.
Bien sûr les faits et gestes de cet aveugle seront colportés dans toute la ville de Jérusalem, puisque Siloé assure l’approvisionnement en eau de la ville entière.
L’aveugle retrouve la vue bien sûr, mais aussi un sens à sa vie.
Ouvert à la connaissance de la volonté de Dieu, il cherche Jésus dans la ville, le trouve, et ploie les genoux en disant, je crois Seigneur.
Nous ne sommes plus aveuglés, nous sommes des hommes nouveaux.
Jésus a pris le temps, dans ce début de passion, de détourner son regard vers l’aveugle que tu es et dont le bandeau qui te voile les yeux a été ôté par pure grâce.
Il importe dés lors de cheminer avec celui qui illumine notre monde.
Car, comme le rapporte le livre du Deutéronome
« Le seigneur ton Dieu a changé pour toi la malédiction en bénédiction, parce que le seigneur ton Dieu t’aimait » (Deut 23, 5)

Pierre dans les actes (actes 3, 15), qualifie Jésus du terme magnifique de pionnier de la vie.
Chers frères et sœurs, nous aussi sommes appelés à être, à la suite de Jésus, des pionniers de la vie pourvus d’une lumière intérieure que nul ne peut nous arracher, quelles que soient les aléas de l’existence.
Amen