samedi 17 avril 2010

prédication du 18 avril 2010 à Aubagne

Mathieu 10 34-39
Voilà l’un des textes les plus déroutants du nouveau testament.
Il figure dans deux évangiles, celui de Mathieu et celui de Luc.
Il n’est pas souvent commenté.
Et cela se comprend.
Beaucoup de chrétiens ne reconnaissent pas, dans le rabbi prononçant ces paroles, le Jésus que forge leur imaginaire.
Déformés par les images trompeuses, telles celles de l’art saint Sulpicien, les chrétiens se représentent souvent un Jésus hors du temps, doux, à la stature délicate, à la longue chevelure pendante, au geste lent et mesuré, vaguement évanescent, montrant pour les plus mystiques un cœur saignant entouré d’épines.
Comment est-il possible que Jésus, lui qui tout au long de sa mission nous affirme nous donner sa paix, puisse annoncer froidement « je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée » ?
En premier lieu il faut insister sur le fait que ce texte est inséré dans le chapitre 10 de l’évangile de Matthieu.
Or ce chapitre relate les directives données aux 12 disciples avant leur départ en mission, lors d’un véritable briefing.
L’ensemble du discours d’envoi est d’une tonalité sévère
« Moi je vous envoie comme des moutons au milieu des loups, le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant ; les enfants se dresseront contre leur parents et les feront mettre à mort. Vous serez détestés de tous à cause de mon nom ».
Ce propos résonnent d’autant plus fort aux oreilles des premiers lecteurs de cet évangile que, dans les années 80, tous les disciples, sauf Jean, avaient été assassinés, ainsi que Jacques le frère de Jésus responsable de l’église à Jérusalem.
De même Paul avait été martyrisé ainsi qu’Etienne et tant d’autres.
Nous aussi, nous savons trop que la paix est une utopie et que l’épée, la kalachnikov ou la bombe régissent, plus souvent que la main tendue, les rapports entre les hommes.
L’ancien testament, pour sa part, relate une longue litanie des massacres scandant l’histoire du peuple Hébreux.
Mais ce n’est pas pour autant que les disciples de Jésus et nous aussi, bien sûr, sommes invités à promouvoir la bonne nouvelle par la violence des armes.
En Mathieu 26 52, Jésus dit à son disciple dont l’épée vient de trancher l’oreille d’un soldat :
« Remets ton épée à sa place ; car tous ceux qui prendront l’épée périront par l’épée ».
L’arme dont disposent les croyants c’est la parole comme précisé dans l’apocalypse (Ap 2 16) :
« Je les combattrai avec l’épée de ma bouche »
et aussi dans Hébreux 4 12 :
« La parole de Dieu est vivante, agissante, plus acérée qu’aucune épée à deux tranchants ; elle pénètre jusqu’à la division de l’âme et de l’esprit, des jointures et des moelles, elle est le juge des sentiments et des pensées du cœur ».
Ainsi frères et sœurs, notre épée, à nous chrétiens, c’est la parole.
La parole, dit Jésus, proclame que le règne des cieux s’est approché.
Cette arme que nul ne peut briser est efficace lors des combats comme en atteste Paul (2 Tim 4-7) :
« J’ai combattu le beau combat, j’ai achevé ma course, j’ai gardé la foi »
Certes, mais au milieu de ce combat, est-il indispensable que les familles soient ravagées par les haines, comme semble l’indiquer le texte ?
Jésus est il venu pour mettre la division entre tous les membres des familles?
En fait, dans son discours Jésus reprend les termes du prophète Michée écrits vers -700 AJC.
« Le fils rabaisse le père, la fille se dresse contre la mère, la belle fille contre sa belle mère, chacun a pour ennemi les gens de sa propre maison » (Michée 7 1à7).
Or, ces propos sont pour le prophète le comble même du malheur.
La société est, à ses yeux, anéantie par la division dans les familles.
Ainsi, pour les juifs, et bien sûr les disciples de Jésus sont juifs, cette annonce d’une division intrafamiliale clamée par Jésus est d’une violence inouïe.
La société juive a pour fondement le groupe familial et l’un des 10 commandements transmis par Moïse est
« tu honoreras ton père et ta mère ».
Paul, lui-même, dans la lettre à Timothée (1Tim 5-8), écrit
« Si quelqu’un n’a pas soins des siens, surtout ceux de sa maison, il a renié la foi et il est pire qu’un non croyant ».
La force du peuple élu réside principalement dans sa structure sociale.
C’est cette forte structure qui a permis aux juifs, depuis 4000 ans, de survivre aux déportations, exils, pogroms et exterminations.
Les familles juives sont comparables à des fils de chaîne que les fils de trame des pratiques religieuses entrecroisent pour former un tissu social sans ancrage terrestre et de ce fait difficilement déchirable.
Ce tissu se positionne hors du temps et de l’espace car le tisserand c’est Dieu.
Chaque famille juive par ses généalogies remonte jusqu’à Abraham et s’ancre ainsi dans le passé.
Toutes les familles issues d’Abraham et des pères que sont Isaac, Jacob Israël, Joseph, sont les fils de chaîne formant le peuple élu.
La trame qui assure la solidité du tissu est entretenue par l’application scrupuleuse des règles de vie et des rites instaurés par Moïse.
Il est d’ailleurs apparu essentiel aux deux évangélistes, Mathieu et Luc, d’ancrer Jésus à ses glorieux ancêtres en détaillant sa généalogie familiale.
Ce sont curieusement ces deux mêmes évangélistes qui rapportent le discours d’envoi en mission de Jésus à ses disciples !
Ce n’est probablement pas un hasard.
Mathieu et Luc étaient habités par l’importance de l’ancrage généalogique et pour eux, le discours de Jésus était un choc majeur.
Toutefois ils connaissaient évidemment un texte du Deutéronome (Deut 33 8à11) où Moïse adresse à la tribu des Lévites sa bénédiction.
Il y est dit que le mérite de l’ancêtre des lévites est de ne pas avoir eu d’égards pour père, mère, fils et frères afin de rester fidèle à la parole de Dieu et à son alliance.
Ceci vaut aux lévites d’être la tribu des sacrificateurs, la tribu sacerdotale.
Ainsi quand le respect à la parole de Dieu et à son alliance avec Israël est en cause, la soumission au commandement visant le respect du aux membres de la famille est abolie ou plutôt est seconde.
L’allégeance à Dieu prime celle due aux hommes.
Mathieu et Luc pouvaient être troublés par les paroles d’envoi de Jésus mais reconnaissaient surement qu’elles étaient légitimement professées par Jésus dans l’intérêt, en quelque sorte supérieur, de la fidélité à Dieu le père.
Le sacerdoce n’est plus limité à la famille des Lévites, il est devenu universel dans la nouvelle alliance instaurée par Jésus.
Pour la majorité des juifs du début de notre ère, l’importance des liens familiaux était d’autant plus cruciale que, ne croyant pas à la résurrection après la mort, ils concevaient leur perpétuation à travers leurs fils.
Ainsi dans le livre apocryphe du Siracide écrit vers -200 AJC, on trouve la phrase suivante
« si le père succombe, c’est comme s’il n’était pas mort car il laisse après lui quelqu’un qui lui ressemble » (Siracide 30 4)
Ne pas donner de fils à son mari, pour une femme, revenait ainsi à priver le maître d’avenir post mortem.
Ainsi les femmes stériles de la bible sont soit désespérées et acceptent qu’une esclave assure la descendance familiale, soit sont enceintes miraculeusement par une intervention expresse de Dieu.
Ce Dieu, symboliquement, assure, par la même, une part de paternité, tel est le cas pour Sara dont la descendance est sacralisée par l’assistance divine.
Cette sacralisation rejaillit sur toutes les lignées issues d’Abraham et de Sara formant ainsi dans leur ensemble, un peuple élu.
Pour comprendre les paroles sévères de Jésus, demandons-nous quelle fut sa propre attitude vis-à-vis de sa famille?
Fut il hostile, Oui ou non ?
Non, car il suit manifestement les rites majeurs de l’initiation dans son enfance.
Non car à Canât il suit les demandes de sa mère au cours de la fête de mariage.
Non car après Canât sa famille le suit à Capharnaüm, en tant que fils ainé qui hérite et assume les responsabilités d’un père décédé.
Non car il maintient des liens avec ses frères comme le précise l’évangéliste Jean :
« ses frères lui dirent : part d’ici et va t’en en Judée »
et ce, même si ceux-ci ne mettaient pas sa foi en lui.
D’ailleurs son frère Jacques dirigeât l’église de Jérusalem
Non quand il confie, au pied de la croix, Marie, sa mère, aux soins de Jean.
Oui quand il précise en Matthieu 12 46 :
« Qui est ma mère ? Qui sont mes frères ? Puis il étendit sa main sur les disciples et dit « voici ma mère et mes frères ! En effet quiconque fait la volonté de mon père qui est dans les cieux celui là est mon frère, ma sœur et ma mère ».
Voilà l’essentiel, Jésus substitue à la famille traditionnelle terrestre une famille dont il est le chef.
Ce n’est pas pour rien que Jésus répète inlassablement « changez radicalement »
Jésus, effectivement, bouleverse radicalement l’ordre des choses.
Paul explique parfaitement ce qu’est cette nouvelle institution familiale, le corps du Christ (Eph 4 11à16) :
« C’est lui qui a donné les uns comme apôtres, d’autres comme prophètes et maîtres, afin de former les saints pour l’œuvre du ministère, pour la construction du corps du Christ, jusqu’à ce que nous soyons tous parvenus à l’unité de la foi et de la connaissance du fils de Dieu, à l’état d’homme adulte à la mesure de la stature parfaite du Christ. Ainsi nous ne serons plus des tout-petits ballotés par les flots et entraînés à tous vents d’enseignement, joués et égarés par la ruse et les manœuvres des gens ; en disant la vérité, dans l’amour, nous croîtrons à tous égards en celui qui est à la tête, le Christ.
C’est par lui que le corps tout entier, bien coordonné et uni grâce à toutes les jointures qui le desservent, met en œuvre sa croissance dans la mesure qui convient à chaque partie, pour se construire lui même dans l’amour. »
Voilà le programme de Christ, d’une ambition inouïe.
Pour le contenir, il faut des outres neuves car les anciennes éclateraient sous la pression du vin nouveau.
La rigidité des règles familiales Juives est strictement maintenue par la prééminence des pères, mères ou belles mères.
Ce monde clanique fermé, privilégie les alliances stratégiques, notamment matrimoniales, décidées par le chef pour la survie de la tribu. Ainsi sont brisées les velléités des plus jeunes à innover, à aimer à chercher ailleurs leur destin, à assumer leur liberté.
Ce monde étouffe les hommes, réduits, comme le dit Paul, à l’état de tous petits ballotés par les flots.
L’appartenance au clan familial, à l’une des douze tribus d’Israël détermine ainsi le sort de chaque enfant Juif.
C’est cela que rejette Jésus.
Pour transformer ce petit en homme adulte, il faut bien lutter contre l’emprise des traditions et coutumes, il faut bien assumer le combat contre la fatalité d’une naissance qui voue au servage, à la soumission au chef de famille, au sacerdoce ou encore au destin de maître.
L’homme est ainsi prédéterminé dés son apparition sur terre, pour le meilleur et pour le pire.
Il n’appartient plus à Dieu mais à son clan, il est de la race des maîtres ou de ceux qui viennent manger les miettes tombées des tables de festin des puissants.
Il nous appartient à nous Chrétiens de lutter pour faire surgir en chacun homme, l’adulte dont la seule filiation spirituelle est la stature parfaite de Christ.
Ce beau combat, contre les fatalités des origines, les pouvoirs dictatoriaux des institutions, famille, églises, états, pour construire un homme nouveau a été mené par Jésus jusqu’à en mourir.
L’homme aliéné par les morales rigides, les dogmes, les rapports de pouvoir, les clivages entre clans, familles, nations, est relevé par Christ qui le transmute en homme spirituel échappant à toutes les morts de ce monde.
Ce programme là, c’est le programme fixé à douze disciples et aussi à des milliards d’homme, d’hier, d’aujourd’hui et de demain.
C’est un cri pour changer radicalement, pour ne pas se prendre dans les rets du filet des pouvoirs qui asservissent et des instincts qui réduisent l’homme à la dimension animale.
C’est un cri qui porte une parole d’amour partout où des hommes sont écrasés, bâillonnés, ballotés par les paroles trompeuses et les mauvais combats.
C’est une invitation à proclamer la bonne nouvelle sans timidité et sans peur.
C’est un commandement, il nous faut répandre le message de libération et l’annonce de la promesse de transformation de la servitude en plénitude.
L’amour ne se suffit pas de mauvais arrangements avec les dominations d’où qu’elles viennent.
Beaucoup cherchent à se substituer à ce qui est de notre responsabilité pour faire notre bien, en imposant leur pouvoir, leur vision du monde. Qu’ils soient parents, éducateurs, dirigeants de toutes sortes, clercs.
Ce n’est pas ainsi que l’homme sera libéré pour atteindre à la dimension d’un fils de Dieu, à l’image de Christ.
Frères et sœurs il n’y a pas de fatalité, le mal ne triomphe pas, devant la tombe une pierre a roulé révélant une cavité désertée par la mort.
La grotte de nos peurs est vide, il n’y a plus d’enfermement irrévocable.
Là où l’épée est levée, notre parole fera tomber le glaive.
Là où tout petits, ballotés par les flots nous pensons périr irrémédiablement, nous savons que dans nos détresses, même les plus profondes, Jésus nous a précédé a succombé sur la croix puis s’est redressé pour nous guider vers son royaume. Amen