lundi 7 mars 2011

Prédication donnée le 27 Février et le 3 Mars 2011 à Aubagne et la Ciotat

Prédication sur le texte : Luc 17 versets 20 et 21

Le texte de Luc est inclus dans une série de récits mettant en scène un Jésus qui parle en paraboles et édicte des sentences souvent abruptes voire provocantes.
Il est vrai que Jésus sur le chemin de Jérusalem n’a plus le loisir de s’exprimer avec modération.
Le temps presse, il lui faut présenter son enseignement avec netteté.
Au milieu d’un petit groupe composé de disciples, de curieux et de quelques pharisiens, probablement réunis, sur la place d’un village, Jésus se prête au jeu des questions.
Les témoins de cet échange n’ont noté qu’une intervention, celle des pharisiens.
Pourquoi ?
Les pharisiens sont peu nombreux, environ 6000, d’après l’historien juif du premier siècle Flavius Josephe.
Ils sont très populaires auprès du peuple, même si celui-ci craint leurs exigences et leur brutalité, ce sont des gens instruits, souvent de la classe des scribes, ils forment un parti hostile à l’oppresseur Romain et aux sadducéens détenteurs du pouvoir religieux Juif.
Persuadés d’être dans la bonne voie, ils ne se contentent pas, comme le rapporte Flavius Josephe, d’interpréter les lois avec exactitude, mais ils imposent au peuple l’exécution de beaucoup de règles provenant de la tradition des pères et non écrites dans la législation livrée par Moïse.
Ils ont élaboré un code d’obligations qui au second siècle deviendra le talmud
Ce sont ces hommes qui portent l’espérance messianique, si intense en ce temps là, et fondée sur les écrits de Daniel (Daniel 7 13 et 14) et d’autres livres tels les psaumes de Salomon écrits vers l’an -40 par des Esséniens dont je cite le chapitre 17 verset 23.
« Seigneur suscites.. leur pour roi un fils de David….. ceins le de force pour qu’il écrase le dominateur inique, leur roi sera le messie. Il conquerra le monde sans recourir aux armes, par la seule parole de sa bouche. Jérusalem libérée et vengée sera alors habitée par les juifs justes appelés « fils de Dieu ».
Dans ce contexte, toute controverse sur le royaume messianique passionne des auditeurs aspirant, pour leur grande majorité, à un nouveau royaume Juif en Israël.
Seule une intervention de Dieu visant à introniser un messie, autorise l’espérance de la restauration du royaume Juif.
C’est pourquoi, les propos de Jésus, en réponse à la question des Pharisiens, ont été mémorisés par les témoins et retranscris d’abord au sein du recueil, dénommé source Quelle, aujourd’hui perdu, puis dans l’évangile de Luc.
Les pharisiens demandent « quand viendra le royaume de Dieu ? ».
Jésus leur répond d’abord qu’il ne sera pas observable, qu’ensuite il ne sera pas localisable puisque le royaume est en eux ou selon d’autres traductions au milieu d’eux. Nous reviendrons plus longuement sur la valeur comparée de ces deux traductions.
Les pharisiens et les témoins peuvent être atterrés.
L’intervention quasi magique de Dieu, prophétisée par Daniel, n’est pas retenue par Jésus.
Pour lui le royaume est déjà en place alors que rien de bien palpable n’est encore advenu.
L’ennemi Romain est encore là, les juifs sont toujours divisés et Jésus, aux yeux du plus grand nombre est un Galiléen bien trop insignifiant pour prétendre être le messie du prophète Daniel présenté comme une entité surpuissante « il lui fut donné la domination, l’honneur et la royauté ; tous les peuples, les nations et les langues se mirent à le servir ».
Le discours de Jésus est ainsi inaudible pour un auditoire juif.
Le manque de pédagogie de Jésus n’est qu’apparent, à mon sens, car les pharisiens ne sont jamais épargnés par Jésus qui les traite très sévèrement comme en Luc 11 verset 37 à 41
« Vous les Pharisiens vous purifiez le dehors de la coupe et du plat et à l’intérieur vous êtes pleins de rapacité et de méchanceté. Gens déraisonnables ! Celui qui a fait le dehors n’a-t-il pas fait aussi le dedans ? Quel malheur pour vous les Pharisiens ! »
Ainsi, ménager des Pharisiens, à priori hostiles, n’a guère d’importance.
Jésus a déjà largement entamé la polémique.
On peut, d’ailleurs, porter au bénéfice des Pharisiens leur pugnacité dans les discussions avec Jésus.
Ces hommes rigoureux ne sont d’ailleurs pas forcément imperméables aux discours de Jésus, Nicodème ne viendra t’il pas le voir de nuit pour mieux comprendre son message?
En fait, Jésus dans son discours vise les Pharisiens certes, mais surtout les disciples et plus largement l’humanité.
Il est difficile d’accepter que le royaume ne soit pas situé de manière palpable dans notre monde mais soit en nous sous forme purement spirituelle.
Cette annonce trouvera progressivement sa vraie signification en chaque humain durant la montée de Jésus vers Jérusalem, et surtout après sa résurrection.
Stockées dans les mémoires, des paroles aussi étranges prendront une signification.
Comme l’écrit Jean 14 26 « L’esprit saint vous rappellera tout ce que, moi, je vous ai dit ».
C’est ce qui s’est produit pour deux pèlerins sur le chemin d’Emmaüs et pour les onze disciples lors de la première apparition de Jésus au milieu d’eux après sa mort.
Luc dans les deux cas signale que leur intelligence fut ouverte pour comprendre le sens les écritures
Revenons sur la phrase dont deux versions se partagent les faveurs des traducteurs, à savoir : première version « en effet le royaume de Dieu est en vous » et seconde version « en effet le royaume de Dieu est parmi vous ».
Les traducteurs proches du texte choisissent « le royaume est en vous », tel est le cas de Chouraki.
En effet, le terme grec antos signifie principalement à l’intérieur.
Jamais les évangélistes ne choisissent ce mot pour signifier au milieu, ils utilisent le terme en mesô.
La préposition entos ne se retrouve dans le nouveau testament qu’en Mathieu 23 verset 26 pour désigner l’intérieur d’une coupe.
Quant à la nouvelle bible Segond elle choisit de traduire antos par, parmi vous, mais indique dans les notes, je cite
« au milieu de vous, traduction incertaine, ce n’est pas la formule habituellement traduite par au milieu de. L’interprétation classique est au-dedans de vous, mais le contexte ne semble pas la recommander. Le même terme désigne cependant l’intérieur en Mathieu … suit une citation de l’évangile de Thomas qui se termine par « Ses disciples lui demandèrent, quand le royaume de Dieu viendra t’il ? Jésus répondit « il ne viendra pas parce qu’on l’attend; on ne dira pas « voici qu’il est ici ou voici qu’il est là. Plutôt, le royaume du Père est répandu sur la terre et les hommes ne le voient pas »
Ainsi les traducteurs de la bible Segond révisée n’adoptent pas la traduction normale « en vous » pour une question de contexte.
Tout simplement ils ont décidé de reproduire une erreur pour des raisons théologiques.
Permettez- moi de citer, avec, malice le verset du chapitre 8 du livre de Jérémie :
« Comment pouvez vous dire, nous sommes sages, la loi du Seigneur est avec nous ! C’est bien pour le mensonge que s’est mis à l’œuvre le stylet mensonger des scribes »
Qu’y a-t-il de si inquiétant pour certains théologiens de traduire en vous au lieu de parmi vous?
Pour beaucoup il est tout simplement impossible que Dieu puisse se trouver au sein même de chaque homme, et tout particulièrement dans celui des Pharisiens.
Et pourtant c’est un ancien pharisien que Dieu est allé recruter pour porter son message, Paul, qui écrit en Co 3 9 « vous êtes le champ de Dieu, la construction de Dieu ».
Jean pour sa part est encore plus clair en Jean 1 16
« Nous en effet de sa plénitude nous avons tous reçu grâce sur grâce ; car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus Christ ».
C’est parce que Dieu nous habite que le royaume est potentiellement en nous, depuis Jésus, nous sommes prédestinés à rejoindre notre créateur car nous avons tous reçu grâce sur grâce.
Mais dans le combat que Dieu livre et auquel il nous associe nous devons jouer au mieux notre partition.
Jésus ne cesse de nous inviter à la conversion, ou à la renaissance.
Dans l’entretien avec le pharisien Nicodème il indique en Jean 7 et 8
« Il faut que vous naissiez de nouveau, d’en haut ».
Ainsi, lorsque les pharisiens enfermés dans une conception messianique temporelle et matérielle du royaume de Dieu, interrogent Jésus sur les signes de son avènement, celui-ci leur répond qu’ils se trompent sur le royaume de Dieu quand ils l’imaginent observable et localisé en un endroit précis.
Jésus leur apprend qu’il est invisible car situé au cœur de l’homme.
Y a-t-il meilleure liaison avec le contexte que cette réponse, invitant ses interlocuteurs à abandonner leur conception sensible et matérielle du royaume de Dieu au profit de la dimension intérieure et donc spirituelle ?
Car Jésus révélait en cet instant quelque chose d’essentiel : l’intérieur de l’homme, son cœur, son intimité secrète, est l’endroit où règne Dieu.
Jésus en affirmant la dimension verticale de l’intériorité, fait exploser toute notion de spatialité : le Royaume n’est ni ici ni là, ni au milieu, ni entre, ni parmi.
Toutefois, le royaume s’il est en germe en nous, se situe aussi partout dans la création, il s’agit pourrait-on dire d’une vibration animant la matière.
Le royaume en nous n’est pas localisé ici ou là dans le corps, mais est d’une nature immatérielle, c’est en quelque sorte une possibilité d’expérience et de découverte dépassant l’opposition entre le dedans et le dehors
L’évangile de Thomas le précise dans son logo 13
« Jésus a dit, si ceux qui vous guident vous disent : voici le royaume de Dieu est dans le ciel, alors les oiseaux du ciel vous devanceront ; s’ils vous disent qu’il est dans la mer alors les poissons vous devanceront. Mais le royaume il est le dedans et il est le dehors de vous »
L’homme contemporain est tendu vers le futur vers le dehors, or Dieu est avant tout perceptible en nous.
Nous sommes ainsi invités à l’exploration intérieure pour faire éclore en notre corps, temple de Dieu les prémices du royaume.
Royaume sans dimension matérielles mais royaume de l’échange où se mêlent mon moi, Dieu et Christ. C’est ce qu’a pressenti Maître Eckhart sage du 12me siècle
« Bien des personnes simples s’imaginent qu’elles doivent considérer Dieu comme étant là bas et elles ici. Il n’en est pas ainsi. Dieu et moi sommes un. Par la connaissance j’accueille Dieu en moi ; par l’amour je pénètre en Dieu »
La naissance nouvelle nous est proposée comme à Nicodème, elle est le fruit d’un travail sur soi même et d’une ascèse permettant de dégager les valeurs essentielles nécessaires à la conversion.
Une prière permanente nous met en harmonie avec la voix spirituelle intérieure désormais audible, nous livrant le moyen d’établir le royaume en nous.
Comme le traduit Chouraqui « Le royaume d’Elohim ne vient pas à vue d’œil.
Ils ne diront pas : voici, ici, ou là ! Oui, le royaume d’Elohim est en vous »