vendredi 30 septembre 2011

Prédication donnée à Aubagne le 2 octobre 2011

Prédication : Mathieu 21 versets 38 à 46
Les deux paraboles que je viens de lire se situent dans un contexte bien particulier.
En ces temps, à la veille de la Pâque juive de l’an 33, c’est dans le temple de Jérusalem qu’enseignait Jésus, beaucoup de monde venait écouter cet étrange rabbi issu de Galilée, contrée cosmopolite méprisée par les notables de Jérusalem.
La foule s’assemblait en murmurant, elle s’interrogeait.
Qui est ce rabbi ? Un prophète, un zélote, un disciple de Jean le baptiste ?
Les spéculations allaient bon train, certains se demandaient si ce Jésus n’était pas le messie tant attendu annoncé par Esaïe ou Daniel ?
Jésus ne venait- il pas de chasser les vendeurs rassemblés aux entrées du temple de façon très autoritaire alors qu’ils proposaient la vente d’animaux sacrificiels ? Ce Jésus était ainsi ouvertement hostile aux sacrifices dont la loi prescrivait pourtant l’usage.
Le calme habituel des enceintes sacrées du temple était troublé.
La foule, venue des quatre coins de la Judée pour la fête, bruissait de mille rumeurs.
Les grands prêtres et anciens étaient excédés.
Ils craignaient l’émeute en ces temps troublés mais surtout percevaient que leur pouvoir était ouvertement contesté dans l’enceinte même du temple.
Imaginez la fureur des sacrificateurs à qui on enlève les animaux nécessaires à leur rite mais par là même aussi leur raison d’être.
Ils décidèrent alors, protégés par leur escorte, d’aller interroger Jésus et d’éventuellement l’arrêter.
Comme leur autorité était en péril, la question posée fut la suivante « de quelle autorité fais tu cela ? » et « qui t’a donné cette autorité ? ».
Jésus ne répondit pas à leur question et se permit de les interroger à son tour, « le baptême de Jean le baptiste venait il du ciel ou des humains ? »
Or les responsables juifs craignaient les réactions hostiles de la foule massée dans le temple. Cette foule appréciait en effet l’enseignement de Jean et n’acceptait pas qu’Hérode ait pu le faire décapiter avec l’aval des grands prêtres.
Face à une foule muette, silencieuse mais tendue à l’extrême, les prêtres prudemment répondirent qu’ils ne savaient pas.
Eux les dépositaires du savoir ne savaient pas, quel aveu de faiblesse !
Ironiquement Jésus répondit de la même manière à l’interrogation des autorités religieuses « moi non plus je ne vous dis pas de quelle autorité je fais cela ».
Jésus enchaina immédiatement en utilisant des paraboles.
Celles que je vous ai lues, clôturent le débat entre les autorités ecclésiastiques et Jésus.
Les maîtres du temple humiliés convinrent alors de faire arrêter Jésus, dans la nuit, pour éviter les troubles populaires.
Le contenu des deux paraboles justifiait à leurs yeux cette sanction, leur autorité à eux grands prêtres et chefs de la communauté juive était bafouée par un illuminé se prenant pour le messie et enfreignant la loi.
J’attire votre attention sur le fait que les deux autres évangiles synoptiques, ceux de Marc et Luc, comportent des textes pratiquement similaires.
La présence d’un même texte au sein des trois évangiles signifie certainement que Jésus s’est bien trouvé dans la situation évoquée au milieu de nombreux témoins dont les disciples.
Jésus, dans les paraboles que nous examinons s’adressait prioritairement aux grands prêtres et anciens, hommes experts en matière de textes bibliques et gardiens du respect de la loi.
Les notions symboliques utilisées leur étaient familières, eux qui connaissaient l’ancien testament par cœur.
Les mots vigne et pierre d’angle avaient bercé leurs méditations.
Je vous lis le PS 80 versets 9 à 19 suivant qui en est l’illustration.
Notez de suite que le terme vigne équivaut ici au mot « peuple élu »
« Tu avais arraché de l’Egypte une vigne ; tu as chassé des nations et tu l’as plantée.
Tu as fait place nette devant elle : elle a enfoncé ses racines et rempli le pays ;
Les montagnes étaient couvertes de son ombre et sa ramure était comme les cèdres de Dieu ;
Elle étendait ses rameaux jusqu’à la mer, et ses rejetons jusqu’au Fleuve.
Pourquoi as-tu ouvert des brèches dans ses clôtures, de sorte que tous les passants la grappillent ?
Le sanglier de la forêt y fouille, et ce qui se meut dans les champs en fait sa pâture.
Dieu des armées revient, s’il te plaît !
Regarde du ciel et vois ! Interviens en faveur de cette vigne !
Protège ce que ta main droite a planté et le fils que tu as toi-même rendu fort !
Elle est incendiée, elle est coupée ! Devant ton visage menaçant ils périssent.
Pose ta main sur l’homme qui est à ta droite, et sur le fils d’homme qui te doit sa force.
Alors nous ne te quitterons pas, tu nous feras vivre et nous invoquerons ton nom. »
La parabole dite par Jésus est singulièrement proche du texte de ce psaume, mais aussi du texte tiré d’Esaïe lu comme texte du jour et elle en reprend nombre de symboles.
Evidemment les prêtres juifs comprenaient immédiatement que la vigne, représentait le peuple juif arraché d’Egypte et s’épanouissant sur la terre promise.
Le terme « fils » utilisé par Jésus dans la parabole, fait écho au terme « fils de l’homme » abondamment utilisé dans l’ancien testament.
Ecrit, 200 ans avant JC, le livre de Daniel, dans son chapitre 7 versets 13 à 14, donne à l’expression « fils de l’homme » une dimension divine. Je cite :
« Dans mes visions nocturnes je vis alors arriver, avec les nuées du ciel quelqu’un qui ressemblait à un fils de l’homme. On lui donnera la domination, l’honneur et la royauté. Sa domination durera à toujours, elle ne passera pas, et son royaume ne sera jamais détruit. »
Ainsi quand Jésus parle du fils du maître, les savants auditeurs pensent, sans l’ombre d’un doute, au messie glorieux du texte de Daniel.
Leur surprise, voire leur colère, se transforme en fureur devant la prétention de ce rabbi Galiléen qui à l’évidence prétend être le fils du maître de la vigne.
Dans le texte d’Esaïe 5 que je vous ai lu, le Dieu des armées n’a aucune pitié pour le peuple élu fautif, il le détruit : je cite
« je réduirai la vigne en ruine ».
La réaction du propriétaire mis en scène dans la parabole rapportée par Mathieu est inconnue.
Jésus ne dit rien sur la réaction du maître.
En effet une sanction y figure bien mais elle est formulée par les prêtres en réponse à la question que leur pose Jésus « lorsque le maître de la vigne viendra, comment traitera t’il donc les vignerons ? »
Ce sont les grands prêtres eux même qui concluent !
Il est évident pour eux que le maître de la vigne réagira comme le Dieu des armées de l’ancien testament qui est leur référence.
Mathieu présente un Jésus muet, dès lors il restera muet tout au long de son procès face à Hérode, au sanhédrin et à Ponce Pilate.
Jésus nous invite à imaginer la fin de l’histoire.
Le maître n’a pas sévi quand ses serviteurs ont été battus ou tués.
Continuera-t-il d’adopter un comportement laxiste ? Tentera-t-il de pardonner quand les vignerons seront à terre ? Prouvera-t-il que là où le péché abonde la grâce surabonde ? La patience infinie du maître le poussera t’elle à sauver les plus pécheresses de ses créatures ? Tueras t’il les assassins de son fils ?
Jésus se tait et notre imagination échafaude des hypothèses.
Mais, oh surprise ! Dans les deux autres évangiles, le récit, sur ce point, est différent, c’est Jésus qui annonce la sanction. C’est lui qui dit
« Que fera donc le maître de la vigne, il fera disparaître les vignerons et il donnera la vigne à d’autres ».
Luc ajoute la phrase suivante « en entendant cela, ils s’exclamèrent, jamais de la vie ! ».
Les notables religieux, présentés par Luc, ne peuvent accepter la sanction évoquée par Jésus, en effet ils se rendent compte que les vignerons fautifs se sont eux, alors que chez Mathieu ce sont précisément ces notables qui proposent l’exécution des fautifs.
Il y a là une différence essentielle entre les évangélistes.
Quelle en est la raison ?
Mathieu écrit pour une communauté de juifs chrétiens réfugiés après 70 à Damas ou Antioche, Luc quant à lui écrit pour des pagano Chrétiens.
Les juifs chrétiens entourant Mathieu, tout comme les grands prêtres du temple évoqués par Luc, ne peuvent accepter la destruction du peuple juif !
Jésus ne peut vouloir l’extermination des juifs.
En effet, tant Jésus que Paul et tous les disciples sont juifs !
Par ailleurs les lettres de Paul sont lues dans les communautés chrétiennes depuis les années 50.
Pour Paul tous les hommes ont accès à la bonne nouvelle, y compris les juifs qui se convertissent comme le précise le chapitre 11 de la lettre aux Romains et le texte de 1Co 12:13 : je cite
« Nous avons tous, en effet, été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit ».
Mathieu ne pouvait donc accréditer l’idée que le peuple élu serait éradiqué.
Luc pour sa part n’avait pas de raisons particulières de protéger les juifs, bien au contraire puisqu’à cette époque, les juifs refusaient aux chrétiens l’accès aux synagogues et Jacques le mineur le frère de Jésus, chef de la communauté judéo chrétienne de Jérusalem avait été lynché de façon ignominieuse en 62 sur les ordres du Grand prêtre.
Belle leçon pour ceux qui sacralisent les textes bibliques, ceux-ci ont été écrits dans un contexte donné pour des auditoires donnés et sont parfois contradictoires.
Il faut donc impérativement comparer, analyser pour accéder à une compréhension du message véritable de Jésus.
Le maître a en fait restauré une autre vigne qui n’est plus enserrée par des haies pour mieux la défendre des maraudeurs et peuples ennemis. Je cite dans Jean 15:5 « Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit, car sans moi vous ne pouvez rien faire ».
Le peuple de la nouvelle alliance en Jésus est constitué par l’ensemble de l’humanité et pour les plus libéraux d’entre nous par l’ensemble de la création.
Pour entrer dans cette communauté, il suffit de déclarer sa foi, sa confiance en cet envoyé, ce guide, qu’est Jésus.
Il n’y a plus de nations de peuples ou tribus, il y a des hommes libres tous chéris par leur Dieu.
Il ne s’agit plus d’être de la descendance charnelle d’Abraham, obsession des juifs, idolâtrant, pour cette raison, les arbres généalogiques attestant leur rattachement à l’une des douze tribus.
Le créateur ne se détourne d’aucune de ses créatures.
Au contraire il les aime à la folie, au-delà de l’entendement.
Jésus est venu sauver les perdus. Il va rechercher les exclus, les sourds, les aveugles, les lépreux, les prostituées, les receveurs d’impôts, les possédés et tous les impurs.
Croyez vous que tous les récits de miracles qui jalonnent le chemin de Jésus soient fortuits ? Non bien sûr, il s’agit de signes pour nous faire comprendre que tel que je suis, je suis aimé de façon inconditionnelle.
Un oui même à la dernière heure suffit, comme pour le bon larron cloué sur sa croix, il faut seulement accepter d’être aimé !
C’est pourquoi en réponse à la question des grands prêtres « dis nous de quelle autorité fais tu cela ? »
Jésus cite texte du psaume 118 versets 21 à 23
« La pierre que les bâtisseurs ont rejetée est devenue la clef de voute. Cela vient du seigneur, c’est une merveille à nos yeux »
Autrement dit, le fils de l’homme jeté hors de la vigne ou si vous préférez, Jésus pendu au bois au Golgotha hors de Jérusalem loin du temple, devient la pierre qui stabilise dans ses hauteurs l’édifice entier de la nouvelle alliance entre Dieu et la création.
Plus de peuple élu, seulement des individus baignant dans un amour d’une nature inimaginable.
Plus de Dieu des armées, mais un fils d’homme, messager de Yahvé, pendu au bois dans la plus complète des défaites.
Son échec apparent se transmute en victoire mystérieuse sur toutes les injustices, douleurs, échecs.
Le mutisme de Jésus se transforme, dans le silence de la résurrection, en victoire.
Ce Dieu faible, mais essentiel comme la petite pierre de faîte qui bloque les voutes des plus hautes cathédrales, compte sur nous pour parachever la création d’un édifice dont nous ignorons les contours.
Dieu n’est pas dans une arche d’alliance, dans un tabernacle, il est en nous. L’esprit saint est dans son temple, l’homme. Cet homme qui sans la présence de Dieu en lui ne peut rien faire.
Dieu nous donne le souffle, il nous propose son rythme que recherchent avec passion les ermites et les moines.
Notre rythme à nous c’est souvent de répondre à la violence par la violence, à la force par la force et d’abuser de notre puissance en opprimant les plus faibles.
Le rythme auquel nous initie Jésus est tout autre, il nous donne sa paix qui est une réconciliation avec Dieu.
Les rythmes de la créature sont dès lors harmonisés avec les rythmes divins.
La passion de Dieu est d’accorder à son rythme les hommes aux tonalités discordantes pour les intégrer au chœur céleste.
Non Jésus ne pouvait pour toutes ces raisons prôner l’extermination des vignerons meurtriers, c’est ce qu’à compris avec finesse l’évangéliste Mathieu.
Dieu n’est pas dans la tempête mais dans le buisson lumineux ne se consumant jamais (exode 3 2), discret mais présent pour nous guider vers lui. Amen