samedi 21 janvier 2012

prédication donnée à Aubagne le 22 janvier 2012

Prédication sur Ex 20,22-26
L’un des textes du jour porte sur les sacrifices, codifiés par Dieu lui-même et en usage en Israël jusqu’à la ruine du temple de Jérusalem en 70.
Parler de sacrifice interpelle forcément les chrétiens puisque la mort du Christ est présentée dans les théologies comme étant le sacrifice ultime.
En travaillant sur ce thème, j’ai été conduit à lire une conférence du professeur Alfred Marx enseignant à la faculté de théologie protestante de Strasbourg et spécialiste reconnu des pratiques sacrificielles.
Je me suis fortement inspiré de son exposé pour cette prédication.
Avant tout je tiens à vous sensibiliser sur le fait que les juifs du début du premier siècle pratiquaient assidument les sacrifices.
Ces sacrifices constituaient le fondement de leur relation à Dieu.
Afin de faire comprendre la nature du message christique aux juifs qui constituaient l’écrasante majorité des premiers chrétiens, les apôtres puis les évangélistes, eux même issus du peuple Juif, se sont exprimés en des termes accessibles à l’ intelligence de leur public.
De fait les textes du nouveau testament sont imprégnés du sceau de la culture juive de cette époque.
Il nous appartient pour décrypter la véritable teneur des messages évangéliques, transmis par les premiers témoins de la vie du Christ, de faire la part de ce qui appartient aux croyances juives et non au message de Jésus.
Dans un milieu étranger culturellement à Israël, la Grèce Athénienne, Paul a échoué à transmettre la bonne nouvelle, inaudible dans sa présentation frappée par la Judéité.
Il nous appartient de ne pas commettre la même erreur de compréhension que les philosophes grecs en faisant effort pour se placer dans la situation et la culture des juifs du premier siècle !
Ceci dit, revenons au texte du jour.
Il est inséré dans le livre de l’exode, à la suite du récit de la transmission des 10 commandements de l’alliance conclue entre Dieu et Moïse.
Cette transmission se déroule sur la montagne du Sinaï, dans une atmosphère de fin du monde, tonnerre, éclairs, fumée et hurlements des trompettes.
Le texte sur les autels est aussi le symétrique parfait du début du chapitre 19 dont il adopte le même plan et les mêmes expressions. Or dans ce chapitre Dieu proclame
« Vous serez pour moi un royaume de sacrificateurs et une nation sainte » ?
C’est dire la place prépondérante des sacrifices dans la foi Juive.
A partir de cette proclamation : tout autel dressé par les hommes devient un Sinaï, ou tout au moins conduit à se remémorer l’alliance de Yahvé avec Israël conclue sur le Sinaï.
C’est sans doute la raison pour laquelle cet autel doit être une montagne miniature faite de matériaux bruts, de terre et de pierre non taillée pour ressembler à la montagne du Sinaï.
Tout sacrifice sur un tel autel devient le lieu d’une manifestation de Dieu (théophanie) qui n’est plus limitée au temps mythique des origines d’Israël, qui n’est plus limitée au Sinaï mais qui peut se reproduire en tous temps et en tous lieux.
Comment ne pas penser alors, à la roche en forme de crâne du Golgotha ou les hommes ont sacrifié Jésus ?
Dieu est venu là aussi, dans le déchainement des éléments comme au Sinaï.
L’évangéliste Mathieu le relate « alors le voile du temple se déchira en deux, d’en haut jusqu’en bas, la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent ».
Relisons le texte sur les autels …..
De prime abord ce texte semble décousu, les prescriptions alignées sont apparemment dépourvues d’intérêt sauf pour les archéologues, qu’importe à priori, que l’autel soit en terre, qu’il y ait des marches ou non et qu’il ne faille pas voir le sexe des prêtres sous le tablier en lin que les juifs appellent éphod.
Et pourtant ces versets rendent compte de la signification du sacrifice aux yeux des prêtres Hébreux, qui, de retour d’exil à Babylone vers -530, ont rédigé les 5 premiers livres de l’ancien testament : le Pentateuque.
A la même époque les peuples Cananéens, les Egyptiens, les Perses sacrifiaient aux idoles dans un esprit fort différent de celui que nous allons décrypter chez les Hébreux.
Le texte sur les autels du livre d’Exode, contrairement aux apparences est construit avec le plus grand soin, les quatre séries de prescriptions se correspondent deux par deux, les versets 23 et 26 sont des interdits, les 24 et 25 sont tous deux des prescriptions positives.
Il y a en quelque sorte un double cadre destiné à mettre en valeur le verset 24b, ainsi placé au cœur d’un écrin.
Ce verset se distingue aussi par le fait qu’après des passages où Dieu parle en « tu », à la seconde personne sous forme de prescriptions, il parle tout à coup en « je »..
« En tout lieu où j’évoquerai mon nom, je viendrai à toi et je te bénirai. »
Le texte énumère toutes les prescriptions nécessaires au sacrifice; un autel, des victimes prises dans le gros et le petit bétail, il précise aussi quelles sont les deux formes habituelles du sacrifice : l’holocauste (viande calcinée en totalité) et le sacrifice de paix ou de communion (viande et végétaux partagés entre Dieu et les hommes).
Il indique surtout quelle est la finalité du sacrifice :
faire venir Dieu afin qu’il bénisse son peuple.
Trois enseignements essentiels peuvent être tirés que je vais expliciter :
1 Dieu vient, là où Israël offre un sacrifice
Contrairement à ce que l’on a coutume d’imaginer, le sacrifice n’a pas pour objet de créer un mouvement de bas en haut, de la terre au ciel, mais un mouvement de haut en bas, du ciel à la terre.
Ce n’est pas le sacrifiant qui, par l’intermédiaire d’une victime accède à Dieu, c’est au contraire Dieu qui descend sur terre pour venir communiquer avec ceux qui l’honorent.
C’est le retour au temps où Yahvé se promenait dans le jardin d’Eden en hélant Adam ou à celui où Abraham échangeait avec son Dieu près des autels qu’il dressait dans chaque nouvelle résidence.
Là où Israël construit un autel et y offre des sacrifices, Dieu vient confirmer l’alliance qu’il a conclut avec Moïse et le peuple des Hébreux.
Les textes du canon du nouveau testament nous relatent un sacrifice. En l’an 33, au Golgotha, véritable autel formé par un rocher en forme de crane dominant le voisinage, Jésus fut sacrifié par les autorités et prêtres de Jérusalem et Dieu vint et échappa au saint des saints du temple où il était cantonné. C’est pourquoi le voile obturant le saint des saints se fendit en deux parties selon le témoignage des quatre évangélistes.
Dieu vint alors bénir le Christ immolé et sa création entière.
Il n’était, dès lors, plus besoin de nouveaux sacrifices car Dieu, dorénavant habitait par Christ le temple de chacun de nos corps.
2 Dieu vient pour recevoir l’hospitalité de son peuple
Dieu vient là où sont offerts des sacrifices.
On s’interroge, bien évidemment sur les raisons pour lesquelles Dieu est attiré par l’offrande de moutons et de bœufs abattus sur l’autel !
Pourquoi se donne t’on la peine d’écorcher les victimes, de les dépecer, de laver les entrailles et les pattes ?
Pourquoi n’offre t’on à Yahvé que des offrandes comestibles et non de l’or ou des matières précieuses ?
Pourquoi, sinon parce que ce que l’on veut, c’est offrir un repas.
Et, il n’y a aucune raison d’offrir un repas à Dieu, sinon pour qu’il s’en nourrisse.
Un texte milite pour cette proposition en Deutéronome 4, 28
« Et là en dehors d’Israël vous rendez un culte à des dieux œuvre de main d’homme, du bois et de la pierre qui ne peuvent ni boire, ni manger, ni sentir »
Le Dieu d’Israël est un Dieu qui peut voir, entendre, manger, sentir.
En offrant un sacrifice à Dieu, en lui présentant de la nourriture, on ne le nourrit pas mais on l’honore de deux manières.
Premièrement à la façon d’Abraham sous les chênes de Membré recevant les trois messagers divins. Abraham prépare et offre un magnifique repas, il se tient à distance prêt à répondre au moindre vœu de ses invités.
Cette modalité correspond à l’holocauste où l’ensemble du sacrifice est brûlé et offert à Dieu.
La seconde modalité, que nous connaissons bien, et dont la traduction au plan rituel est le sacrifice de communion, est celle ou le repas est partagé entre Dieu, les prêtres et l’offrant.
Si Dieu vient auprès du sacrifiant, c’est parce qu’il accepte l’invitation et les marques d’honneur qui lui sont adressées
Il manifeste aussi par là qu’il est semblable aux êtres humains puisque, seul un être comme eux peut apprécier les fumets délicieux d’un bon repas.
Ce Dieu est semblable mais différent puisque seul, il reçoit la graisse et le sang des victimes. Ces nourritures sont en effet strictement interdites à la consommation humaine.
Par ailleurs la matière sacrificielle est brûlée sur l’autel et c’est de l’odeur que Dieu se nourrit.
De la sorte chaque sacrifice constitue une leçon de théologie au cours de laquelle Israël apprend à connaître son Dieu qui est une personne. A chaque sacrifice Israël découvre Dieu comme l’autre, mais aussi le semblable, en somme comme l’autre semblable.
Ainsi si Dieu vient, c’est pour recevoir l’hospitalité de son peuple, c’est pour partager avec lui un repas et se manifester, se révéler à lui comme un autre mais aussi un semblable.
3 Lors d’un sacrifice, Dieu vient pour bénir son peuple
Le verset 24b, « en tout lieu où j’évoquerai mon nom, je viendrai à toi et je te bénirai » est construit de telle manière que le dernier mot est mis en valeur comme dans une pierre précieuse rehaussée par les petits diamants insérés tout autour.
En Hébreux, en tout lieu où j’évoquerai mon nom est exprimé par trois mots, je viendrai à toi l’est en deux mots et je te bénirai l’est en un mot.
De sorte que tout tend vers la conclusion en un mot du verset 24 « je te bénirai ».
Lorsque Dieu vient à l’occasion d’un sacrifice c’est pour bénir.
Ainsi le sacrifice dont nous parlons ici, n’est pas destiné à apaiser un Dieu courroucé, ni à disposer favorablement un Dieu qui par principe serait de mauvaise humeur, ni à expier des erreurs.
Ce texte est très important car il livre les clefs de l’interprétation du sacrifice.
Le sacrifice permet à Israël de faire venir Dieu qui se révèle à cette occasion être tout en même temps un autre et un semblable. Et ce Dieu qui vient bénit.
Ainsi, le sacrifice dans la religion d’Israël est central.
Cette affirmation est renforcée par ceci : afin de faire venir en permanence la bénédiction de Dieu sur Israël, une pratique sacrificielle devait être exercée au temple de Jérusalem. C’est ce que Dieu prescrit à Moïse en Exode 29, 38 à 46
« Voici ce que tu offriras sur l’autel : deux agneaux d’un an, chaque jour constamment. Tu offriras le premier agneau le matin, tu offriras le second agneau à la tombée de la nuit.. Tu les offriras comme une odeur agréable, en offrande consumée pour le seigneur. C’est un holocauste constant dans toutes vos générations que vous offrirez à l’entrée de la tente de rencontre, c’est là que je rencontrerai les Israéliens »
Bien sûr ces holocaustes visaient à maintenir la présence de Dieu en permanence dans la tente de la rencontre devenue ultérieurement le saint des saints.
C’est seulement aux périodes les plus troubles de l’histoire d’Israël que ces holocaustes furent suspendus pour le plus grand malheur du peuple juif, par exemple lors des persécutions d’Antiochus Epiphane (168-165).
Je vous rappelle que Jésus fut appelé l’agneau de Dieu en référence à cette pratique sacrificielle permanente.
Avant de conclure, j’aimerai vous lire le texte suivant tiré d’Exode 24 qui relate l’alliance de Dieu avec Moïse et les Israéliens
« Moïse écrivit toutes les paroles du Seigneur, puis il se leva de bon matin ; il bâtit un autel au pied de la montagne avec douze pierres levées pour les 12 tribus d’Israël.
Il envoya de jeunes Israéliens offrir des holocaustes et des sacrifices de paix au Seigneur. Moïse prit la moitié du sang des taureaux qu’il mit dans des bassines, de l’autre moitié du sang il en aspergea l’autel. Il prit le livre de l’alliance et le lut au peuple…Moïse prit le sang et en aspergea le peuple en disant : voici le sang de l’alliance que le Seigneur a conclue avec vous sur toutes ces paroles »
Avec une proximité évidente Matthieu écrira (Matthieu 26 26à29) le texte instituant le sacrement de communion
« C’est mon sang le sang de l’alliance qui est répandu en faveur d’une multitude, pour le pardon des péchés »
Comme je vous l’ai indiqué en exergue, la passion de Jésus ne pouvait être interprétée et traduite en écrits par les premiers chrétiens juifs que dans un contexte sacrificiel puisque le sacrifice constituait le pivot de leur foi passée.
Les deux lectures que je viens de faire le démontrent.
Un texte du canon, la lettre aux Hébreux, écrite entre 60 et 80 par un inconnu, illustre particulièrement ce fait.
La teneur du texte est tellement étrangère à nos schémas mentaux actuels qu’elle induit spontanément l’envie d’abandonner la lecture.
Pourtant les théologies chrétiennes se sont souvent inspirées de cette lettre.
Voici un exemple de la rhétorique développée Héb 9 11à 14
« Mais le Christ est venu comme souverain sacrificateur des biens à venir ; il a traversé la tente plus grande et plus accomplie, qui n’est pas fabriquée par des mains humaines, c'est-à-dire qui n’est pas de cette création ; il est entré une fois pour toute dans le lieu très saint, non pas avec du sang de bouc ou de taurillons mais avec son propre sang. C’est ainsi qu’il a obtenu une rédemption éternelle. En effet, si le sang de boucs et de taureaux, ou la cendre d’une génisse qu’on répand sur ceux qui ont été souillés, sanctifient et procurent la pureté de la chair, combien plus le sang du Christ qui par l’esprit éternel s’est offert lui-même à Dieu, sans défaut, purifiera t’il votre conscience des œuvres mortes, pour que vous serviez Dieu vivant »
Vous avez certainement été frappé par la notion du sacrifice développée ici, l’auteur de la lettre n’envisage le sacrifice que comme moyen d’expiation du péché.
Or l’interprétation Juive du sacrifice en -530, exclut comme nous l’avons vu que le sacrifice ait pour rôle principal cette expiation des péchés.
La théologie expiatoire surdéveloppée à partir de l’occupation d’Israël par les grecs vers
-320 avant JC, est fondée sur une vision erronée de la notion sacrificielle exposée dans le Pentateuque.
Frères et sœurs, je n’irais pas plus avant dans ce débat théologique, mais j’aimerais vous rappeler les trois points essentiels du message du professeur Marx à propos du sacrifice.
Dieu vient là où Israël offre un sacrifice sur l’autel.
Dieu vient pour recevoir l’hospitalité de son peuple.
Lors d’un sacrifice, Dieu vient pour bénir son peuple.
Pour ma part, et rien ne vous interdit de penser différemment, je ne peux croire que Jésus se soit livré volontairement au sacrifice, c’est la caste des prêtres et puissants d’Israël qui l’a martyrisé.
Jésus a accompli jusqu’au bout une mission dont il connaissait les risques.
Le sacrifice, par les dirigeants Juifs, d’un des leurs est monstrueux car c’est un sacrifice humain que Yahvé a toujours repoussé avec horreur comme l’attestent les écrits testamentaires anciens.
Ce sacrifice, inique marque la fin de l’alliance conclue avec Moïse et le peuple Juif, ce qui est illustré par ce Dieu, abandonnant le temple au moment de la mort de Jésus. A ce moment là le voile obturant le saint des saints se fend.
Dieu bénit alors l’humanité entière dont fait partie le peuple juif, relève le Christ et installe l’esprit en chaque humain en gage d’alliance permanente. Comme le dit Paul en 1 Cor 9
« vous êtes le champ que Dieu cultive, la maison qu’il construit »