dimanche 20 mai 2012

prédication du 20 Mai 2012 à La Ciotat


Prédication sur le texte  Luc 10 versets 25 à 37



Je ne fais pas œuvre d’originalité en choisissant de  prêcher sur le texte dit du bon Samaritain.

Si j’ai choisi ce passage de l’évangile de Luc, c’est que, m’interrogeant sur la signification du mot  valeurs, ce texte s’est imposé à moi comme une évidence.

Si le mot valeurs m’interpelle c’est que notre époque ne cesse de l’utiliser, comme pour exorciser l’effritement d’édifices moraux fondés sur des préceptes religieux ou philosophiques élaborés au cours des siècles.

J’ai été sensibilisé à ce problème en lisant l’annonce d’un colloque international à Berne les 23 et 24 Mars 2012. Colloque destiné aux décideurs chrétiens et intitulé  « les valeurs chrétiennes comme facteur de succès dans le monde économique »

Ces colloques se multiplient sur les thèmes de l’identité, la laïcité, la citoyenneté, les valeurs fondatrices.

Ils ne font que refléter le profond désarroi des consciences face aux remises en cause de l’ensemble des fondements spirituels des sociétés humaines.

Je vous propose d’écouter à ce sujet ce qu’écrit Amin Maalouf dans son livre « le dérèglement du monde »

« De la crise morale de notre temps on parle quelquefois en termes de «pertes de repères » ou de « perte de sens », comme s’il s’agissait de retrouver des repères perdus, des solidarités oubliées.

 De mon point de vue, il ne s’agit pas de retrouver mais d’inventer.

Ce n’est pas en prônant un retour illusoire aux comportements d’autrefois que l’on pourra faire face aux défis de l’ère nouvelle.

Le commencement de la sagesse, c’est de constater que notre époque n’est comparable à aucune autre.

Plutôt que d’embellir le passé et de l’idéaliser, il faudrait se défaire des réflexes que nous y avons acquis et qui se révèlent désastreux dans le contexte d’aujourd’hui ; se défaire, oui, des préjugés, des atavismes, des archaïsmes, pour entrer de plein- pied dans une toute autre phase de l’aventure humaine.

Il nous faut sortir des légitimités anciennes par le haut en élaborant une échelle des valeurs qui nous permette de gérer mieux que nous l’avons fait jusqu’ici, notre diversité, notre environnement, nos ressources, nos connaissances, nos instruments, notre puissance, nos équilibres, en d’autres termes notre vie commune et notre capacité de survie.

De mon point de vue, sortir par le haut du dérèglement qui affecte le monde exige d’adopter une échelle des valeurs basée sur la primauté de la culture ; je dirai même fondée sur le salut par la culture »

Ce texte d’Amin Maalouf a profondément résonné en moi à double titre :

 -en tant que biologiste car je sais que nous sommes condamnés à faire sans cesse du nouveau pour que l’espèce humaine  perdure en s’adaptant

 -en tant que protestant car je sais qu’il faut toujours se réformer pour adapter le message de Jésus aux réalités nouvelles et je suis certain que ce message est une source permanente de renouvellement.

Revenons sur le texte de l’évangile de ce jour.

Jésus a en face de lui un spécialiste de la loi.

Ce dernier interroge « que faire pour hériter de la vie éternelle » Jésus lui demande alors de  lire ce qui est écrit dans le pentateuque.

Et notre spécialiste non seulement lit le décalogue mais aussi un texte bien caché dans le livre du lévitique précisant la façon dont Dieu veut être servi, je cite Lév 19-18

« Tu ne te vengeras pas ; tu ne garderas pas de rancune envers les gens de ton peuple ; tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Jésus ne peut être qu’admiratif à l’écoute de cette réponse complète, il lui dit d’ailleurs « tu as bien répondu ».

Notre spécialiste pose alors une seconde question, « qui est mon prochain ? ».

Ce sujet était l’objet d’âpres débats entre les tendances religieuses juives d’alors.

Pour les Esséniens le prochain était celui qui appartenait à leur secte, pour les pharisiens et sadducéens c’était celui qui appartenait au peuple élu, et pour certains, plus rares, tous les hommes étaient leur prochain.

En tous cas la Thora ne contient pas de réponse à cette question.

Jésus aurait pu se contenter de préciser que tous les hommes sont les prochains, mais il préfère utiliser une parabole en guise de réponse.

Un homme blessé dont on ne sait s’il est juif orthodoxe ou étranger gît sur le bord de la route, deux dignitaires religieux croisent le blessé et passent au large sans s’arrêter par crainte de violer un interdit de pureté concernant le contact avec  le sang ou un cadavre, un Samaritain lui s’arrête et porte secours au malheureux.

Le Samaritain était l’ennemi de prédilection des juifs orthodoxes car les Samaritains pratiquaient une religion déviante par rapport à la religion juive.

Ils ne tenaient compte que du Pentateuque comme livre sacré et ne considéraient pas Jérusalem comme lieu exclusif d’implantation du temple.

Ainsi les termes Samaritain et diable étaient des mots quasiment synonymes pour les juifs.

Acculé à reconnaître que le samaritain était celui qui avait considéré le blessé comme étant son prochain, notre spécialiste des textes sacrés ne prononce d’ailleurs pas le mot Samaritain qui lui écorche la gorge, mais utilise une périphrase pour le désigner « c’est celui qui a montré de la compassion ».

Mais avez-vous repéré que Jésus inverse, dans la question qu’il pose, celui à qui s’applique le terme  prochain ? Je cite

 « Lequel de ces trois te semble avoir été le prochain de celui qui était tombé aux mains des bandits ? »

La question n’aurait elle pas du être : lequel de ces trois hommes a considéré le blessé comme étant son prochain ?

Cette inversion a été beaucoup commentée, pour ma part je pense que Jésus indique par ce moyen le fait que  même un Samaritain peut être cet énigmatique prochain.

Jésus répond par le même coup à la première interpellation du savant,  « maître que dois-je faire pour hériter de la vie éternelle ?»

Il demande en effet par ce questionnement  vers quel prochain dois je aller pour lui faire du bien et Jésus lui dit : si tu commençais par songer à ceux qui font quelque chose pour toi, peut être le problème serait-il plus simple. Le prochain c’est d’abord celui qui vient à toi.

Pour finir Jésus remet les choses à l’endroit, si l’on peut dire, en disant « va et toi aussi fait de même ». Va vers ton prochain affligé.

Mais par ce jeu de l’inversion il nous a interpellé en attirant notre attention sur le fait que le prochain c’est tout homme qui vient vers nous pour nous aider mais aussi celui qui compte sur nous pour l’aider. Bien entendu le premier qui vient vers nous c’est Jésus que l’on peut en effet de ce fait qualifier de prochain.

Je vous ai parlé en introduction du mot valeurs en précisant que le texte sur le bon Samaritain était en plein cœur de ce problème, pourquoi ?

Les deux notables religieux ont passé leur chemin pour conserver la pureté nécessaire à leurs fonctions de sacrificateurs. Ils ont considéré que le service de Dieu primait sur tout autre commandement, en effet les 5 premiers commandements de la Thora concernent la relation à Dieu et priment sur les 5 suivants concernant les relations à l’homme.

Le Samaritain bien que n’étant pas prêtre pouvait craindre de se souiller et devenir impur et ce d’autant plus que très certainement le blessé était un juif. Mais il a placé la valeur « assistance au prochain dans le malheur » avant les devoirs du culte à Yahvé.

Les trois hommes ont un système de pensée religieux identique, les valeurs qu’ils professent sont très voisines,  mais lorsque se présente un conflit de valeurs leur choix diffèrent.

Jésus ne cesse de proposer une échelle des valeurs surprenante, ainsi par exemple le commandement « tu honoreras ton père et ta mère » est à ses yeux second. puisque Jésus proclame en Math 10-35 « Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère, entre la belle fille et sa belle mère et l’homme aura pour ennemi les gens de sa maison ».

Les exemples de ce type pourraient être multipliés, Jésus réagit de façon dérangeante en toutes circonstances.

Il secoue l’ordre établi fondé sur le respect aveugle de la loi reçue par Moïse.

Il y a en Jésus  plus que la loi, et il instille en nous la profonde liberté des enfants de Dieu par rapport à toutes les règles imposées.

C’est ce qu’affirme Paul dans la lettre aux Galates 3-23 à 27

« Avant que la foi vienne, nous étions gardés sous la loi, enfermés en vue de la foi qui allait être révélée. Ainsi la loi a été notre surveillant jusqu’à Christ, pour que nous soyons justifiés en vue de la foi. La foi étant venue nous ne sommes plus soumis à un surveillant. Car vous êtes tous par la foi fils de Dieu en Jésus Christ » 

Toutes les sociétés ont un corpus de règles, constituant leur loi, fondées sur des valeurs très voisines voire identiques, et pourtant elles sont en réalité  souvent  très éloignées dans leurs pratiques.

Pourquoi ? Simplement par le fait que leurs cultures diffèrent et conduisent à privilégier certaines valeurs et à estomper certaines autres.

L’une privilégiera l’égalité et la société sera communiste, l’autre privilégiera la liberté et la société sera libérale, telle autre placera la solidarité nationale au sommet de ses aspirations et dérivera vers le fascisme, telle autre sur développera le groupe familial et sera de type tribal.

Il y a là une grande similitude avec la régulation de l’expression des gènes dans notre patrimoine génétique, certaines espèces feront fonctionner à plein un gène et une protéine, par exemple une hormone, sera produite en grande quantité alors que d’autres espèces réprimeront la production  de cette hormone.

C’est pourquoi quoique partageant avec le chimpanzé et le porc plus de 90% de notre génome humain, nous sommes si différents d’eux.

De même nos sociétés sont fort différentes du fait d’une régulation variable de l’expression des valeurs.

Le pape Benoit 16 dans son message aux jeunes du monde  en 2010 écrivait, je cite

« La culture actuelle, dans certaines régions du monde tend à exclure Dieu ou à considérer la foi comme un fait privé, sans aucune pertinence pour la vie sociale. Alors que toutes les valeurs qui fondent la société proviennent de l’évangile, comme le sens de la dignité de la personne, de la solidarité, du travail  et de la famille, on constate une sorte d’éclipse de Dieu, une certaine amnésie, voire un réel refus du christianisme et un reniement du trésor de la foi reçue, au risque de perdre sa propre identité profonde. »

Eh bien il a tout faux. Les valeurs qui fondent les sociétés ne viennent pas de l’évangile, elles sont partagées depuis l’aube de notre humanité par les sociétés qui se sont succédées, animistes, grecques, romaines, chinoises, indiennes, chrétiennes, musulmanes, athées.

Toutes ont développées un certain sens de la dignité humaine, de la solidarité, du travail, de la famille.

Mais ce que Jésus a apporté c’est un renversement du mode de pensée.

Se préoccuper d’abord du prochain, de celui qui vient vers nous ou compte sur nous dans la difficulté.

C’est pourquoi sa bataille contre l’utilisation de la loi hébraïque à des fins de pouvoir et sans aucune place pour la compassion et le discernement, telle qu’elle était pratiquée par les autorités religieuses juives du premier siècle, fut le combat des 3 années missionnaires du Christ.

La sécularisation que nous connaissons de nos jours est liée à l’adoption par les autorités politiques d’une grille de valeurs régulées selon des modalités proches de celles proposées par les évangiles.

L’échelle des valeurs politiques et religieuses étant proche, beaucoup se demandent quelle est l’utilité de s’engager dans un parcours de foi plutôt que de militer dans les cercles laïques ?

Mais c’est sans compter sur le fait que le parcours proposé par Jésus garde sa  pertinence, il est en quelque sorte hors du temps.

Christ nous habite et nous encourage à rechercher en puisant dans les évangiles la substance même de notre échelle de valeurs. Notre quête doit être constante et personnelle pour ne pas sombrer dans les systèmes claniques et les adhésions sans retenue aux discours de maîtres omnipotents se prenant pour le Christ lui-même.

A nous d’adapter notre foi aux contraintes et bonheurs du temps qui vient, pour proposer aux prochains le fruit de notre pensée libre et accueillir le fruit de la pensée libre de celui qui vient vers nous.