dimanche 3 juin 2012

prédication du 3 Juin 2012 à Aubagne




Prédication sur 1 Corinthiens 9 : 16-23



Dimanche dernier nous fêtions la venue de l’esprit sur les apôtres, les foules accourues alertées par un grand bruit entendirent ce jour de Pentecôte, ces hommes leur parler, chacun dans sa propre langue. Aujourd’hui je souhaite commenter un texte où, là, pareillement, il s’agit pour l’apôtre Paul de porter l’évangile à tous quelle que soit leur culture . Paul s’exclame « je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns » s’agit il pour Paul d’une stratégie démagogue ? Tente-t-il à la manière des publicitaires d’entrainer, par une technique sournoise et malgré elles, les personnes dans son idéologie? Cela, croyez moi, ne cadrerait vraiment pas avec la personnalité de l’apôtre Paul. « Je me suis fait tout à tous » est au contraire une manière ambitieuse et généreuse, au service de chaque personne, de la libérer et non de l’embrigader. « Je me suis fait tout à tous », la phrase recèle une révolution, un virage à 180° par rapport à ce qui se fait souvent. Cette révolution est un peu comme celle engendrée par Copernic. Ce savant, seul contre tous maintenait que le soleil ne tournait pas autour de la terre, que l’univers ne tournait pas autour de notre nombril, mais que la terre tournait autour de soleil ! Selon le sens commun, un apôtre comme n’importe quel idéologue, comme n’importe quel chef de parti politique ou comme n’importe quel bon commercial devrait dire : rejoignez-nous, car nous avons raison et tous les autres ont tort, notre produit est meilleur, je vais vous révéler la Vérité avec un grand V, celle de Dieu lui-même, attention, n’allez surtout pas chez le concurrent, il est dans l’erreur, c’est un faux prophète, il est dangereux. Selon le sens commun, un apôtre devrait dire : ne vous posez pas de questions sur ce que l’on vous dit de croire, faites ce qu’on vous dit de faire, pratiquez les rites et tout ira bien. Bref : rejoignez notre groupe et ne vous en écartez pas. Par rapport à ce sens commun, Paul propose une révolution de type copernicien. Il professe qu’un apôtre sort, va vers les personnes à l’extérieur de son cercle de connaissances. C’est lui qui s’adapte à elles, et il le fait, non pour les ramener à l’intérieur, mais pour les libérer. Paul se fait tout à tous, il se fait comme juif avec les juifs, il se fait religieux avec les pratiquants et libéral avec les libéraux, il se montre faible, il se reconnaît faible parmi les faibles plutôt que de faire le fort. Un fort pourtant prétend détenir la vérité et vise à nous l’apprendre, car il se prétend infaillible. Paul se fait tout à tous. Ce n'est pas du clientélisme mais une façon de rejoindre l'autre là où il est, en se faisant son esclave comme il est dit dans le texte du jour. Et ceci parce que Dieu le premier, en Christ, est venu nous rejoindre là où nous sommes et s'est fait lui-même notre esclave. Plutôt que d’inviter l’autre à devenir comme lui, l’apôtre Paul lui propose d’aller vers l’autre, de s’en approcher, d’essayer de le comprendre et de l’aider, non de le dominer et le juger. - Certaines personnes sont comme sous la Loi, très attachées à ce que les choses soient faites dans les règles et dans les temps. Avec ces personnes, nous dit Paul, je suis aussi sous la règle, pour les accompagner même si au fond, ces règles sont bien secondaires face à ce jaillissement de vie qu’est l’Évangile. - Certaines personnes aiment la variété et la créativité, ont un côté un peu artiste ou bohème ou bien s’aventurent dans une passion pour le bouddhisme et la culture papoue. Si on aime quelqu’un, nous l’accepterons comme il est, nous l’accompagnerons dans cette façon d’être, même si, nous dit Paul, avec le Christ nous sommes dans la liberté. Paul, sagement, marque toutefois des limites notamment en Corinthiens 10 : 23-24: « tout est permis mais tout n’est pas utile : tout est permis mais tout n’est pas constructif. Que personne ne cherche son propre intérêt mais celui de l’autre » Certaines personnes ont un tempérament pessimiste, nous pouvons faire l’effort de reconnaître avec elles le côté tragique de l’aventure humaine en ce monde, même si dans l’Évangile du Christ il y a une espérance qui transcende toutes ces choses. Telle personne a un tempérament optimiste nous pouvons l’accompagner dans cette joie. Certains autres ont besoin que l’on prenne du temps pour elles, nous prendrons du temps. D’autres ont besoin simplement d’un geste, nous en ferons deux. Certaines personnes ont un tempérament mystique, nous prieront avec elles, certaines personnes veulent aller au fond des choses, nous ferons de la théologie et de la philosophie avec elles, d’autres ont soif de solidarités humaines nous ferons du social avec elles. Certains sont souffrants, et ont perdu leur joie de vivre, leur caractère s’est altéré, nous ne porterons pas de jugement, mais ferons preuve de compassion. Nous nous ferons tout à tous, nous dit Paul. Nous rejoindrons l’autre là où il est, nous nous ferons son serviteur et non son maître. Bien entendu, il ne s’agit pas de se compromettre. Il ne s’agit quand même pas d’être voleur avec le voleur et pédophile avec le pédophile. Il est question d’aller vers l’autre, de le rejoindre dans sa culture, son rythme et sa façon d’être, ses besoins et ses souffrances, il s’agit de l’accompagner. C’est Dieu que l’on suit, pas l’homme. Dire l’Évangile, ce n’est pas seulement dire à l’autre que Dieu nous accepte et nous aime tel que nous sommes aujourd’hui, mais c’est aussi lui dire que Dieu nous appelle à aller de l’avant, qu’il nous appelle et nous aide à sortir de nos enfermements d’aujourd’hui. Dieu pour nous accompagner dans ce changement radical se fait notre serviteur. Plutôt que de chercher à modeler les personnes à notre image, il s’agit de les libérer pour qu’ils se construisent à l’imitation de Christ. Cette méthode Paulinienne est un des enseignements fondamentaux de l’Évangile, et devrait caractériser toute Église se disant chrétienne ! « Évangile », c’est un mot grec « eu-aggelion » qui signifie « Bonne Nouvelle », mais si ce mot n’est en général pas traduit dans la Bible, c’est que ce mot grec désigne plus que les bonnes paroles que Jésus de Nazareth a prononcées. L’Évangile se décline effectivement sous forme de paroles vraies, intelligentes, sages et fortes. Mais l’Évangile c’est plus que cela, c’est avant tout une vie, l’Évangile c’est le Christ, comme le dit Paul ici, l’évangile conduit à se décentrer de soi-même pour aller vers l’autre, le faire par plaisir, gratuitement, par intérêt pour l’autre, dans l’espérance qu’il sera gagné, qu’il sera sauvé. Il faut s’entendre sur ces termes. Gagner une personne au sens de l’Évangile ce n’est pas arriver à la compter comme membre de notre église et la faire cotiser chez nous (ce qui est pourtant une bonne chose). Mais gagner une personne, c’est la tirer de l’enfermement sur elle même de telle sorte qu’elle se sente envoyée vers les autres, comme Paul, (en grec, on dit apôtre). Qu’elle se sente l’envie et la force d’évoluer, qu’elle puisse déjà se mettre en route librement, selon sa personnalité. Sauver une personne ce n’est pas l’enchaîner dans une communauté étroite, ce n’est pas l’obliger à adopter des convictions, un rythme et des pratiques. D’ailleurs c’est le sens même du mot « Église », ekklesia en grec, vient de ex (hors de) et kaleo (appeler), ekklesia signifie littéralement « être appelé hors de (chez-soi) », mis en chemin, comme Abraham, le nomade. Fondamentalement, l’Église ne devrait pas professer le seul rassemblement, elle devrait prioritairement appeler ses membres à aller vers le large, l’extérieur. Elle devrait envoyer en mission. Le culte ne vise pas à inculquer ce que l’on doit absolument penser pour être dans la Vérité, mais plutôt à faire résonner cet appel et ce goût d’évoluer, de penser par soi-même, sous le souffle de l’Esprit de Dieu. Le sens même du culte est de pousser les fidèles à se sentir appelé à sortir. L’église proclame la bonne nouvelle d’un Dieu sur lequel chacun peut compter pour l’aider à modifier les habitudes et certitudes sclérosantes. La Bonne Nouvelle, celle d’un Dieu bienveillant, nous donne le courage de quitter la coquille protectrice que nous avons élaboré au fil du temps pour nous confronter à de nouvelles façons de penser, pour aller vers de nouvelles personnes non pour les saisir mais pour les servir. L’Église fait des apôtres. Une secte, par contre, fait des prosélytes. Littéralement, un prosélyte c’est une personne qui vient de l’extérieur et qui s’installe à l’intérieur. Une secte cherche à faire entrer des gens dans la communauté pour qu’ils servent la communauté. Pour faire entrer les gens, le monde extérieur est présenté comme terrible et entièrement négatif, et l’intérieur est alors présenté comme le lieu de la vie, l’enseignement est baptisé du nom de Vérité, et de clé du salut éternel... Et ainsi, les gens restent bien à l’intérieur de la communauté et du dedans on crie pour que d’autres entrent à leur tour. Les opinions personnelles sont suspectes, se faire « tout à tous » est alors une désertion... Jésus a sans cesse été critiqué pour cela : il fréquentait les gens de mauvaise vie, il ne respectait pas les commandements, il allait vers des étrangers et parlait avec des Samaritains, il osait même critiquer ceux qui faisaient des prosélytes (Mat. 23 :15) « vous courez la mer et la terre pour faire un prosélyte, et, quand il l’est devenu, vous en faites un fils de la géhenne deux fois pire que vous »... Jésus, lui, appelle des personnes mais pour les libérer. Il les nomme apôtres, il leur donne la force et l’envie de sortir, de penser par elles-mêmes, de risquer des rencontres. Après un temps de ressourcement auprès des frères et sœurs de l’Eglise, ils repartent. Il y a des fidèles qui servent l’église en donnant du temps, de l’argent, allant vers les autres et recevant des autres... Mais c’est librement, de bon gré, on peut aussi s’engager au service des autres ailleurs et autrement. Comme le dit l'apôtre Paul dans la lettre aux Corinthiens, participer à l’annonce de l'Évangile est une gourmandise, c’est une joie de se faire « tout à tous » dans l'espérance qu'une ou deux personnes puissent recevoir l'Évangile du Christ et en vivre. Il y a déjà une joie et un enrichissement à découvrir la façon d’être d’une personne et de l’accompagner. Essayer, après l’avoir ainsi un peu découverte et aimée telle qu’elle est, de lui faire partager l’appel et la promesse que Dieu adresse à chacun en Christ, c’est comme un cadeau que l’on offre. Comment le transmettre ? Il y a là, peut-être, une difficulté : nous avons reçu quelque chose d'extraordinaire par la présence de Dieu en Christ, et cela peut nous donner envie d'être devant l'autre un je-connais-mieux-que-toi-le-sens-de-ta-vie-et-je-vais-te-l'apprendre ! C'est vrai que nous désirons lui apporter quelque chose. Mais ce que nous offrons n'est, ni une leçon de théologie, ni de morale, mais un appel de Dieu. Ce que nous offrons c’est un Dieu libérateur proposant un changement de regard sur le monde et les autres. A chacun, dans son propre rapport avec Dieu, de construire son cheminement, voire de rejeter l’Eglise. « Se faire tout à tous », c’est ainsi un projet ambitieux et généreux, celui d'offrir tout l'Évangile à tous, tout l'Évangile à toute personne, sans discrimination. Chacun a le droit de se voir offrir tout l'Évangile, et pas seulement un petit bout d'Évangile simplifié ou limité à une petite morale bien raisonnable. Toute personne est digne d’être apôtre, carrément, digne de réfléchir sur ce qu’elle croit, de prier à sa façon, de voir avec Dieu comment avancer et vers qui aller. A l’unisson avec Paul nous pouvons dès lors dire en tant qu’apôtre « Et tout cela je le fais à cause de la bonne nouvelle, afin d’y avoir part ». Amen