Actes
2 versets 14 à 36 et Actes 17 versets 16 à 34
Je
voudrais aujourd’hui vous inviter à vous étonner devant ce document
extraordinaire qu’est le livre des Actes.
Luc
après avoir écrit son évangile c’est soucié de lui donner un prolongement.
Daniel
Marguerat, professeur de nouveau testament à l’université de Lausanne écrit
« Le livre des Actes est unique en son
genre dans le nouveau testament : ni évangile, ni lettre, ni écrit
prophétique, il raconte le déploiement de la première chrétienté dans le monde
après la mort et la résurrection de Jésus.
Ecrire
une histoire d’apôtres après l’histoire de Jésus est un geste unique dans
l’antiquité chrétienne : nul ne l’a accompli avant Luc et nul ne le
répétera après lui.
Cette
nouveauté littéraire traduit un changement, l’agir du Christ se poursuit à
travers ses témoins et doit être raconté comme uns suite de l’évangile.
La
décision théologique est d’un poids considérable, puisque la révélation ne se
limite plus à la vie de Jésus, mais englobe désormais l’histoire des témoins.
Avec
les actes, l’évangile fait histoire. »
Imaginez :
ni la mort de Jésus, ni la détresse des apôtres n’ont cassé la dynamique
engagée par Jésus.
Je
pense que Luc m’aurait repris en ajoutant comme cause de cette puissance
stupéfiante, l’effusion de l’esprit saint. Ce point est essentiel dans la
pensée de Luc.
Ainsi
en Actes 1 verset 6 à 8, il relate la promesse de Jésus
« Ceux
qui s’étaient réunis lui demandaient : Seigneur est-ce en ce temps-ci que
tu vas rétablir le royaume pour Israël ? Il leur répondit : il ne
vous appartient pas de connaître les temps ou les moments que le Père a fixés
de sa propre autorité. Mais vous recevrez de la puissance quand l’esprit saint
viendra sur vous, et vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et
en Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre. »
Cette
promesse est, vous le savez certainement, accomplie par l’effusion de l’esprit longuement
décrite dans le chapitre 2 du livre des
Actes. Cette effusion donne lieu aux réjouissances de la Pentecôte.
La
résurrection de Jésus c’est cela, rien n’est fini, tout est en place en nous,
témoins du Christ dans toutes les générations à venir, par la grâce de
l’esprit.
La
bonne nouvelle sera portée partout dans le monde, et ce, contre vents et
marées, car elle seule fait vivre.
Et
Luc évoque l’action de cette puissance qu’est l’esprit saint au moyen d’un
récit structuré, parfaitement exact dans ses indications tant géographiques
qu’historiques.
Il
choisit de relater, d’abord le développement de la foi en Jésus, à Jérusalem
puis dans les villes proches et enfin dans l’empire Romain.
Les
figures des leaders sont celles de Pierre, Etienne, Philippe et Jacques le frère
de Jésus. Mais sans conteste c’est Paul, dans sa mission de pasteur des païens
qui constitue l’exemple essentiel choisi par Luc pour illustrer la puissance du
Saint Esprit.
Le
texte des actes a été rédigé entre 80 et 90, à une époque où les relations entre
chrétiens et juifs avaient cessées,
Pierre et Paul étaient morts martyrisés par Néron vers 65, c'est-à-dire depuis
une vingtaine d’années et les épîtres de Paul remontaient à plus de trente ans.
L’auteur
Luc appartenait à la troisième génération après Jésus, Les chrétiens qui
attendaient le retour du Christ dans le cadre d’un jugement général perdaient
espoir en son retour rapide, il fallait ce livre des Actes pour recadrer le
cheminement d’un christianisme en développement rapide.
Le
texte que je vous ai lu fournit d’emblée une réponse à ce malaise : nous
ne pouvons savoir quand le père décidera du jugement, mais l’esprit fournira la
puissance nécessaire aux témoins pour que la bonne nouvelle soit colportée dans
le monde.
Il
est bien évident que Luc opère une lecture croyante de l’histoire, seuls les
éléments aptes à servir sa lecture théologique sont retenus.
Cette
lecture vise à montrer comment Dieu conduit les siens.
L’esprit
qui habite les témoins est l’instrument dont Dieu se sert.
Dans
les récits du livre des Actes, l’irruption de l’esprit saint est la signature
divine accordée à la mission des apôtres lorsqu’elle s’ouvre à l’universalité.
Ce
n’est jamais l’église qui en prend l’initiative : l’esprit précède les
apôtres et agit à la stupeur des croyants.
Parmi
les exemples justifiant cette assertion la fin de la coupure plurimillénaire
entre le pur et l’impur est significative.
Pierre
en rêve voit des mets impurs que Dieu ordonne de manger, alors que
parallèlement le centurion Corneille est amené, suite à un rêve, à convoquer
Pierre
Pierre
commence alors son discours à Corneille
par cette phrase (Actes 10 28)
«Comme
vous le savez c’est un crime pour un juif que d’avoir des relations suivies et
même quelque contact avec un étranger.
Mais à moi Dieu vient de me faire comprendre qu’il ne fallait déclarer pur
ou impur aucun homme »
D’un
seul coup, l’initiative de Dieu libérait les contacts entre humains car (1Co
12:13)
«
Nous avons tous, en effet, été baptisés dans un seul Esprit, pour former un
seul corps, soit Juifs, soit Grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons
tous été abreuvés d’un seul Esprit ».
A ce stade de la réflexion, je voudrais
attirer votre attention sur le fait que Luc n’a pas décrit l’ensemble de la
progression de l’église, et il s’en faut de beaucoup. Il n’en a d’ailleurs pas
la prétention
Le
personnage de Paul mis en scène par Luc et connu par ses épîtres est certes
éminemment important, mais il existait d’autres missionnaires qui ont progressé
dès le premier siècle jusqu’à l’Inde et probablement la Chine, des communautés importantes
autour de la Méditerranée s’étaient constituées par exemple à Antioche, Césarée
et Alexandrie.
C’est
la puissance Romaine, assistée par un clergé à ses ordres, qui, lorsque le
christianisme devint au 4 me siècle religion d’Etat, a gommé la diversité des
communautés chrétiennes.
L’histoire
de la chrétienté s’est réduite, pour la grande majorité des chrétiens des deux
premiers millénaires, à l’épopée
Paulinienne.
Luc
a-t-il disposé de traces écrites des discours des missionnaires qu’il
décrit ? Certes pas, car il n’y avait à cette époque ni sténo dactylos ni magnétophones. Or les 24 discours figurant
dans le texte du livre des Actes occupent le tiers du livre !
Comme l’indique le professeur Marguerat, les
historiens de l’Antiquité, qui aimaient à placer des discours sur les lèvres de
leurs héros faisaient face à la même
difficulté.
Ils
suivaient le principe adopté par Thucydide
« J’ai
exprimé ce qu’à mon avis ils auraient pu dire qui répondit le mieux à la
situation » (guerre du Péloponnèse). Ce principe légitime la
recomposition des discours tout en la soumettant à une double adéquation :
le discours reconstruit doit convenir à ce que l’on sait du locuteur et être
approprié à la situation. Par ses choix de style et de propos oratoires, Luc a
choisi cette règle, adoptant pour ses héros le langage qui lui semblait convenir.
Luc
très habilement a procédé ainsi, mais cela laisse des traces.
En
particulier, la théologie défendue par Paul se trouve quelque peu modifiée par
Luc.
En
effet les milieux proches des idées de Paul, auquel appartenait Luc, avaient en
l’espace de 30 ans remplacé la centralité de la croix des épîtres de Paul par
la centralité de la résurrection.
Chez
Luc, la mort de Jésus concrétise l’erreur humaine face à Dieu, mais l’offre de
salut s’appuie sur la certitude de la résurrection. La résurrection prend la
place qu’occupe la croix chez Paul, ce n’est plus la mort de Jésus qui est
objet de scandale pour les juifs et les païens mais la nouvelle que Dieu l’a
ressuscité des morts. C’est pourquoi Luc s’attache à signifier l’historicité et
la matérialité de la résurrection.
Dans
les Actes, c’est l’affirmation de Pâques et non plus la primauté de la loi qui
constitue le point de litige entre l’Eglise et
la synagogue.
Pour
illustrer ces propos, je vais vous lire deux textes, le premier est celui de
Pierre après l’effusion de l’esprit à Pentecôte.
Actes
2 versets 14 à 36
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Pierre
est à ce stade encore totalement Juif dans ses réactions et citations. Son
discours est bourré de sémitismes, le style est peu fluide. Pierre ne cesse de
citer l’ancien testament afin de démontrer aux juifs que Jésus et les
événements extraordinaires de la résurrection et de Pentecôte étaient
déjà annoncés dans les textes anciens.
Il
est facile de déceler dans le texte la volonté de représenter Pierre tel qu’il
était, rocailleux, réaliste et volontaire. Dans cet exercice Luc a réussi.
Pour
examiner comment Luc présent Paul je vous propose d’écouter le discours de Paul
à Athènes devant les philosophes réunis sur l’Agora.
Actes
17 versets 22 à 34
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Le
discours que Paul tient est habile, il emploie les formes de la rhétorique
Grecque en particulier de leurs philosophes. Il cite les poètes tel
Epiménide (6me AJC) avec cette phrase
admirable : Car c’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et
l’être. Voyez comme ce discours est différent de celui prêté à Pierre. Luc
rédige un texte fluide et charpenté, élégant même.
Notez
bien que la dérive de la pensée Paulinienne est ici flagrante, c’est la résurrection
qui motive le rejet des philosophes et non la crucifixion de Christ et le
sacrifice que représente la cène.
Ainsi
le livre des Actes nous interpelle et nous concerne directement en tant que
témoins de la puissance de l’esprit avérée dans de nombreux événements et
personnages au cœur de chair. Comme le précise Paul dans la seconde lettre aux
Corinthiens chapitre 3 verset 3 :
«
Il est manifeste que vous êtes une lettre du Christ confiée à notre
ministère : une lettre écrite , non pas avec de l’encre , mais avec
l’esprit du Dieu vivant ; non pas sur des tablettes de pierre mais sur des
tablettes de chair, sur des cœurs »
Puissions
nous considérer Luc comme celui qui sans en tirer une quelconque gloire a
relaté ce magnifique élan, cette puissance déléguée qu’est l’esprit afin de pérenniser
la grâce de Dieu pour l’humanité.