mardi 17 février 2009

Ezéchiel 33 versets 30 et 31, Matthieu 9 versets 35 à 38 et 13 versets 1 à 3 et 10 à 17

La foule

Marie, il te faut partir de ta maison de Nazareth, Joseph est là avec un âne bâté prêt à te porter.
Tu vas accoucher incessamment, tu as besoin de femmes pour t’aider, tu as besoin d’un lit, de chaleur et d’eau en abondance, ton mari n’a pas le droit de voir ton sang donc de t’aider pour mettre au monde ce premier enfant qui pour la plupart des habitants de Nazareth est l’enfant de la honte, le fruit d’une infidélité ou d’un viol.
Et pourtant dès maintenant tu dois partir vers Bethlehem à plus de 6 jours de marche car tu ne peux rester seule sans la protection de Joseph.
Tu ne sais même pas où tu pourras te reposer des fatigues du chemin et dormir
Histoire insensée que justifie bien mieux la fuite loin de la vindicte populaire que le recensement évoqué par l’évangéliste Mathieu.
Il faut rappeler que l’adultère était sanctionné par la mort en Israël.
Luc est un bon conteur et son récit ne fait probablement qu’effleurer la réelle aventure de Marie.
Mathieu pour sa part écrit une toute autre version de l’événement, Marie et Joseph demeurent à Bethlehem, l’enfant naît dans leur maison et c’est seulement après la fuite en Egypte que Joseph et sa famille s’installent à Nazareth.
Ce qui m’importe, c’est de vous faire remarquer combien les trois membres de la sainte famille sont seuls, même si l’ange assemble la multitude de l’armée céleste et quelques bergers pour chanter « gloire à Dieu dans les lieux très hauts et sur la terre, paix parmi les humains en qui il prend plaisir ».
De famille point, d’amis aucun, des foules, certes, mais indifférentes ou hostiles.
Des foules qui se déplacent vers leur lieu de recensement et occupent les caravansérails.
Mais aussi des Nazaréins suspicieux qui sauront montrer leur hostilité à la famille de Joseph quand ils tenteront de tuer Jésus quelques trente années plus tard.
Même à une femme en gésine nul ne cède une place décente pour accoucher.
Attitude proprement impensable dans un pays où l’accueil de l’étranger est un devoir.
Attitude aussi impensable que celle d’une foule acharnée à faire mourir celui qu’elle avait admiré.
A la fin de sa vie comme au moment de sa naissance, Jésus sera presque seul, avec, selon Mathieu, des femmes au pied de la croix, dont deux se prénomment Marie.
Quand Jésus expira, la foule responsable de son supplice avait déjà quitté les lieux.
Joseph d’Arimathée prit alors le corps en catimini, l’enveloppa d’un drap pur et le porta dans une tombe récemment creusée.
Ainsi, Jésus aux deux bouts de son existence est entouré de rares personnages aux prénoms identiques.
Les foules dans les deux cas lui ont été hostiles.
Nouveau né et cadavre sont placée dans une cavité de la terre.
Jésus est porté par une vierge et sa dépouille est placée dans une grotte immaculée nouvellement creusée.
Né dans l’isolement d’une grotte, Jésus est enseveli par une petite troupe en secret.
Emmailloté à sa naissance il est enveloppé dans un drap pur à sa mort.
Christ est prêt pour une renaissance, nouveau né et dépouilles se confondent pour recommencer l’histoire.
Christ est là, toujours prêt à relever tout homme de foi enfermé au fonds d’une cavité close.
Que ce soit, le malheur, la peur, la souffrance, la solitude, tout cela il l’a connu et finalement surmonté.
Il a vécu cela et il t’assistera pour sortir comme lui dans la lumière.
C’est probablement ce que Mathieu et Luc ont voulu signifier aux premiers chrétiens, inquiets de ne pas voir revenir un Jésus en gloire pour rendre justice.
A ce stade de ma réflexion, je me suis demandé quels rapports Jésus pouvait bien entretenir avec une foule absente et hostile aux deux bouts de son existence.
En étudiant les occurrences du mot foule ou multitude, je me suis aperçu dans la bible Segond que si l’ancien testament utilise le vocable 16 fois, Mathieu l’utilise lui 48 fois, Marc 40 fois, Luc 35 fois , Jean 17 fois, Paul dans ses épîtres 1 fois.
Ce sont les évangiles synoptiques qui s’intéressent le plus à la foule.
L’ancien testament est, avant tout, préoccupé de l’histoire d’un peuple, le mot est cité 1652 fois dans l’ancien testament ,147 fois dans le nouveau testament et 15 fois chez Mathieu.
Cela n’est pas étonnant, l’ancien testament relate, l’histoire du rapport de Yahvé avec des tribus, un peuple descendant des patriarches.
Un peuple est une entité disposant de son code de lois, d’un Dieu ou de Dieux et d’un pouvoir temporel commun, ses chefs peuvent s’exprimer au nom d’hommes rassemblés sous un étendard, symbole de cette communauté.
Les foules réunissent des individus en quête d’une solution à leurs problèmes, souffrant d’un manque. Les personnes les constituant, parfois étrangères, les unes aux autres, cherchent un moyen de s’unir pour forcer un destin défavorable.
A priori les foules sont en attente d’un chef providentiel promettant d’apporter une solution miraculeuse à leurs maux. Parfois faute de chef c’est un coupable sacrifié qui assurera la fonction d’unification par le meurtre à responsabilité partagée.
Si un chef ou un Dieu providentiel survient ou, si un fautif, source supposée de tous les maux, est désigné, alors l’individu fondu dans la foule accède aux plus grandes joies collectives.
Pensez aux soirs de victoires, aux lynchages de toutes sortes ponctués par les rires et insultes des assistants.

Pour illustrer ce plaisir d’être à l’unisson d’une foule, je lis un extrait du psaume 42
« Voici pourtant ce dont je veux me souvenir, quand je me répands sur moi-même, je marchais avec la foule et je m’avançais avec elle jusqu’à la maison de Dieu, dans les cris de joie et de reconnaissance d’une multitude en fête »
L’équivalent de ce bonheur n’existe vraiment dans les évangiles synoptiques que le jour des rameaux (Mathieu 21-8)
« Les foules le précédaient et le suivaient en criant Hosannah pour le fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du seigneur ! Hosannah dans les cieux très hauts ! »
Jésus versé dans l’étude de la loi et des prophètes était forcément averti des possibles pulsions inattendues des foules, il avait lu le Pentateuque où il est dit en Exode 23- 2
« tu ne suivras pas les foules pour faire du mal, tu ne déposeras pas dans un procès en te mettant du côté de la multitude pour faire pencher la justice, tu ne favoriseras pas le pauvre dans son procès ».

Le parcours de Jésus retracé, notamment par l’évangéliste Mathieu, est un véritable chassé croisé entre lui et les foules.
C’est une histoire de passion au dénouement fatal, l’un des deux protagonistes, la foule, passe de l’amour à la haine dans la plus pure tradition dramatique.

Au début de la mission de Jésus, tout se passa fort bien.
Après s’être recueilli dans la solitude du désert, il commença à proclamer « changez radicalement, car le règne des cieux s’est approché ! » et de partout de grandes foules se mirent à le suivre.
A l’instar de Moïse présentant du haut du Sinaï les commandements au peuple rassemblé, Jésus du haut de la montagne révéla son programme.
Les 9 proclamations commençant par le mot heureux, rappellent et complètent les 10 commandements. Symboliquement le nombre 9 annonce à la fois une fin et un recommencement, c'est-à-dire une transposition sur un nouveau plan.
Il exprime en tant que dernier des chiffres, la fin d’un cycle, l’achèvement d’une course, la fermeture de la boucle (dictionnaire des symboles chez Laffont).

Mais de l’enthousiasme des multitudes, Jésus ne pouvait que se méfier car l’écho des paroles du prophète Ezéchiel raisonnait sans doute dans sa tête
« Ils se rendent en foule auprès de toi et mon peuple s’assied devant toi. Ils écoutent tes paroles, mais ils ne les mettent pas en pratique, car ils agissent avec des paroles aimables à la bouche alors que l’avidité mène leur cœur. Te voilà pour eux comme une aimable chanson »

Dans les chapitres 5 à 7 de l’évangile de Mathieu, Jésus distille un enseignement clair et charpenté constituant une somme théologique.
Les foules étaient ébahies de son enseignement, car il les instruisait comme quelqu’un qui a de l’autorité et non pas comme leurs scribes (mat 7 -28)
Soudainement , tout bascule au chapitre 8.
Jésus descend de la montagne, rentre chez lui à Capharnaüm. Là, un officier romain l’interpelle lui un rabbi juif: il implore celui qui est au yeux de l’occupant un va nu pied, vaguement illuminé, pour qu’il sauve son serviteur.
Cette demande est insensée ce que souligne Jésus « moi, je viendrai le guérir ! »
Ce soldat dit alors cette phrase admirable « Seigneur dit seulement une parole et mon serviteur sera guéri ».
C’est chez ce Romain que Jésus rencontre pour la première fois une adhésion totale à son message.
Après l’avoir entendu Jésus étonné dit à ceux qui le suivaient ; amen je vous le dis, chez personne en Israël je n’ai trouvé une telle foi. Je vous le dis beaucoup viendront de l’est et de l’ouest pour s’installer à table avec les patriarches dans le royaume des cieux. Mais les fils du royaume seront chassés dans les ténèbres du dehors… »
A ce moment précis, le rabbi prend conscience de ce que sa mission dépasse les seuls juifs et intéresse l’humanité entière.
Dès lors sa stratégie change, il cultive un contact plus serré avec ses disciples et c’est eux qu’il enseigne prioritairement.
Dès cet instant, Jésus tente de mettre les foules à distance « Jésus voyant une foule autour de lui, donna l’ordre de passer sur l’autre rive ». Plus loin en Mathieu 9 la foule est chassée par les disciples.
Et pourtant elles l’émeuvent, ces foules lassées et abattues, car elles sont sans berger, il est alors urgent de prier, car la moisson est grande, pour que le maître de la moisson envoie des ouvriers dans sa moisson (Mat 9 36-38)
Jésus recherche le contact avec des hommes bien individualisés, ses miracles ne sont pas collectifs, ils concernent un paralytique, une femme atteinte d’hémorragie et une jeune fille qu’il ressuscite, deux aveugles, un démoniaque muet.

Jésus s’astreint à enseigner dans l’espace réduit des synagogues. Il instruit ses disciples et les envoie en mission de village en village, de maison en maison.

Contre son gré, les foules s’acharnent à le suivre, elles ont entendu parler de ses miracles par le bouche à oreille et espèrent pouvoir en bénéficier aussi.
Jésus ne leur parle plus dès lors qu’en paraboles.
Ses disciples s’étonnant de ce changement de méthode, Jésus leur dit « Il vous a été donné à vous de connaître les mystères du règne des cieux, à eux cela n’a pas été donné. Voilà pourquoi je leur parle en paraboles, parce qu’en voyant ils ne voient pas et qu’en entendant ils n’entendent ni ne comprennent ».

Jésus se rend à l’évidence, les juifs désespérés, qui constituent les foules attachées à ses basques, sont à la limite de commettre le pire, ils sont affamés, malades, humiliés par un occupant Romain cupide.
Ils sont comme des mendiants à tendre les mains vers celui qui guérit par pitié, qui parle autrement que les maîtres corrompus et collaborateurs.
Peut être ce prophète rassemblera t’il les juifs pour rétablir un nouvel Israël libre.
Jésus ému par ce profond désarroi ne peut faire autrement que de guérir. Par deux fois, pris de compassion, il les nourrit même en multipliant les pains.
Il a pleinement conscience que parler en clair d’un royaume à venir, d’un changement radical pourrait conduire à l’insurrection qu’il serait bien incapable de maîtriser.
Alors parler en paraboles oblige les auditeurs à faire appel à la réflexion et les conduit à discuter entre eux de l’interprétation à donner, comme les juifs savent si bien le faire.
Les élans menant à la révolte se fondent sur des slogans capables d’être repris à l’unisson et non sur des textes à énigmes.

Comprendre les paraboles n’est pas évident et les disciples eux même demandent souvent des explications au maître.
La tension tombe et le maître demande systématiquement de ne pas ébruiter les miracles qu’il réalise. Loin de brandir l’étendard de la révolte, il s’esquive.

Ils étaient toutefois nombreux à espérer en ce Jésus.
Les pharisiens et prêtres « (mat 21-46) cherchaient à le faire arrêter, mais ils avaient peur des foules, parce qu’elles le prenaient pour un prophète ».
Ces foules attendaient, comme Judas peut être, que Christ acculé devant les juges du sanhédrin donne enfin le signal de la révolte, mais rien pas de miracle, Jésus se taisait.
Ce fut alors un jeu d’enfant de les manipuler (Mat 27- 20) « les grands prêtres et les anciens persuadèrent la foule de demander Barabbas et de faire disparaître Jésus »
L’impensable se produisit alors.
La foule réclama avec véhémence l’exécution du sauveur.

L’histoire est pleine de ces réactions irraisonnées de foules galvanisées. Car une foule est un être qui a sa propre existence, tout comme un ban de poissons qui dans une simultanéité de tous donne l’impression d’une seule mouvance.
La direction suivie semble échapper à toute prévision, comme si l’essentiel était de bouger simultanément
La liste des manipulations de foules est longue et notamment celle commises au nom de Dieu.
Elles abondent les sectes, ils se saoulent de leur puissance les promoteurs de croisades, ils s’enorgueillissent de leur pouvoir dévoyés les faux prophètes.
J’ai eu la curiosité de regarder certaines chaînes de télévision chrétiennes de pays lointains, certaines présentaient des manipulations d’assemblées de plus de mille personnes complètement fanatisées par des prédicateurs hurlants, rabachant encore et encore le même verset au son de mélopées répétitives.
O seigneur ont-ils oubliés que malgré la compassion que t’inspirait les foules tu savais les rappeler à la nécessité d’un rapport individuel avec Dieu.
« Quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
En priant, ne multipliez pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’à force de paroles ils seront exaucés. (Mat 6 7 et 8) »
Dieu connaît chaque homme par son nom, il est un père et de ce fait fonde pour ses enfants les plus grandes espérances.
Il ne voit pas une foule, sa vision se focalise sur toi.
Regardes le en face, dialogue avec lui, use de ton intelligence pour discerner sa volonté.
Les paraboles font surgir du sens, chacun en fait son miel et y trouve une signification correspondant à son état de développement et à sa situation.
Les paroles de Christ rapportées par les évangélistes parlent à nos cœurs et réveillent de soudaines fulgurances, des émotions semblables à celle que peuvent faire surgir des tableaux ou des musiques.
Il n’y pas en elles de slogans il y a en elles les clefs de la relation avec Dieu le père.
Jésus ne t’envoie pas pour ourdir la violence, pour défendre un code de lois, mais comme le dit l’évangéliste Luc (4-18)
« l’Esprit du Seigneur est sur toi, parce qu’il t’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres ; Il t’a envoyé pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés ».
(2 Corinthiens 3:17) Or, le Seigneur c’est l’Esprit ; et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté.

dimanche 15 février 2009

Le programme père

Nous allons décrypter ce programme père en examinant les actions accomplies par Joseph dans les 2 évangiles de Mathieu et Luc.

La reconnaissance de l’enfant

L’acte sexuel n’est pas essentiel car, ce qui a été engendré en Marie vient de l’esprit saint.
Par contre ce qui transforme l’homme en père c’est le fait qu’il reconnaisse l’enfant comme sien.
Cette reconnaissance se concrétise par la détermination du nom, par le père
« Joseph, tu donneras le nom de Jésus ».
Ainsi le père reconnaît l’enfant comme étant de sa propre famille, il prend ainsi, aux yeux de tous, la responsabilité de poursuivre le programme père.

Inscription de l’enfant dans une lignée


Jésus reconnu par Joseph s’inscrit dans la lignée de Joseph, 42 générations depuis Abraham, en passant par David. Les racines de l’enfant sont solidement greffées dans celles du peuple juif.
Jésus ben Joseph sera regardé par les autres comme quelqu’un appartenant à la tribu de David.
Cette tribu a son histoire, ses lois, sa culture notamment religieuse. L’enfant acquiert une identité.

Sécurisation, protection du fragile rejeton

Joseph se sauve en Egypte pour protéger l’enfant et la mère, puis retourne au pays d’Israël pour installer son foyer et exercer le métier de charpentier.
Le père est le responsable de la sauvegarde familiale.

Transmission de la loi à la descendance

Ils firent circoncire Jésus et se rendaient pour chaque Pâque à Jérusalem.
Jésus est initié aux règles et rites religieux et sociaux propres au peuple Juif.

Transmission de la connaissance et émancipation de l’enfant

Joseph apprend à son fils son métier et lui enseigne à lire puisque Jésus est capable de lire la loi dans les synagogues.
L’enfant reçoit ainsi les moyens nécessaires à son émancipation.
Le père est celui qui facilite l’envol de l’enfant en l’instruisant et lui offre par là même la possibilité de piloter seul son existence (voir l’enfant prodigue).

Servir de recours

Bien sûr, la parabole de l’enfant prodigue illustre ce devoir. En fait c’est le devoir d’amour dont il s’agit et là Joseph le manifeste quand Jésus est égaré à Jérusalem « ils étaient angoissés ».
L’enfant est une part de soi même, s’il s’égare c’est un peu le père aussi qui se perd.
Ce père qui n’a pas su éviter l’écueil comme il aurait peut être pu le faire.
Ainsi naturellement celui qui dérive sait que le père n’aspire qu’à lancer une bouée pour que le programme père soit couronné par une émancipation réussie de l’enfant.